Rive-Reine
sa lettre, M. Métaz ne faisait aucun commentaire mais indiquait simplement : « J’espère que tu auras à cœur de respecter ma demande en ce qui concerne le nom des entreprises que j’ai fondées. » Après avoir confirmé l’arrivée de Blandine et de son mari pour juillet, Guillaume notait : « Je dois te prévenir que je suis un peu en froid avec la famille de mon gendre, le lieutenant Calver. Ses parents possèdent, en Louisiane, une immense plantation de coton et plus de trois cents esclaves, Noirs enlevés à leur Afrique natale. Ce sont, je crois, de bons maîtres, qui n’usent pas du droit de vie et de mort que la loi sudiste reconnaît aux planteurs. Mais j’appartiens au parti abolitionniste, exécré des Sudistes parce qu’il milite pour que cesse l’odieuse pratique de l’esclavage et de la traite des Noirs. Depuis que les Calver ont appris que je soutiens de mes deniers le journal de MM. William Lloyd Garnison et Isaac Knapp, le Liberator , qui paraît depuis le 1 er janvier 1831, à Boston, et qui développe les thèses antiesclavagistes, les Calver ne sont plus tellement gracieux avec moi. Lewis est un brave garçon et un bon marin, qui aime beaucoup ta sœur et la rend heureuse, bien qu’il ne lui ait encore pas fait d’enfant ! Peut-être que le climat du pays de Vaud sera salutaire dans ce domaine. »
En attendant l’arrivée de Blandine et de son époux, Axel Métaz fut bien aise de retrouver, à Rive-Reine, la petite Alexandra, qui, sous l’influence de son institutrice, se comportait maintenant plus souvent en demoiselle qu’en sauvageonne. Bien qu’il eût refusé de l’avouer, il fut heureux aussi de revoir Élise Delariaz et, à la rougeur qui colora le visage de la jeune fille quand il lui tendit la main, il comprit qu’elle devait partager le petit émoi ressenti en la voyant approcher.
Dès le commencement du mois de juin, l’été s’était installé et Axel prit l’habitude, après souper, d’aller marcher avec Alexandra sur la berge du lac, du côté de La Tour-de-Peilz.
– Pourquoi qu’on n’emmène pas Mademoiselle avec nous ? dit un soir la fillette.
– Eh bien, va la chercher. Demande-lui poliment si elle veut venir avec nous, consentit Axel.
Élise accepta et se joignit au parrain et à la filleule. Dès le premier jour, Alexandra inventa un jeu, qui consistait à se dissimuler derrière les draps que les lavandières suspendaient, les jours de lessive, sur des cordes attachées aux arbres de l’Entre-deux-villes. Axel devait, dans ce labyrinthe de toiles verticales, la découvrir et la poursuivre. Mademoiselle fut invitée à participer au jeu et il advint qu’un soir, au crépuscule, Axel, avançant à pas de loup, entre deux draps blancs, comme un Indien, heurtât Élise, engagée en sens inverse dans le même couloir. Surprise, la jeune fille perdit l’équilibre et se retrouva dans les bras de l’homme. On s’excusa de part et d’autre, tandis qu’Alexandra s’impatientait, tout au bout de l’étendage. Axel, qui avait bien involontairement posé la main sur le sein d’Élise, regagna Rive-Reine troublé. Quand Alexandra fut couchée, il demanda une tasse de thé, simplement pour retenir Élise un moment près de lui. La jeune fille le rejoignit au jardin, posa le plateau sur la table qu’on ne sortait que l’été et s’assit.
– Tout à l’heure, je ne vous ai pas fait mal ? demanda Axel.
– Ce fut plus la surprise que le heurt qui me fit perdre l’équilibre. Peut-être ai-je passé l’âge de jouer à cache-cache !
– En tout cas, j’ai bien failli vous embrasser… malgré moi, reprit Axel en ayant conscience d’une absolue niaiserie.
– Failli seulement… et malgré vous ! répondit Élise en riant franchement.
– Je sens bien que vous ne voudrez plus jouer au fantôme, dit Axel, poursuivant le marivaudage.
– Pas avant demain soir, en tout cas, répliqua-t-elle, moqueuse, en se levant pour servir le thé.
Axel se retint pour ne pas saisir Élise par la taille et lui donner sur-le-champ le baiser manqué.
Le lendemain et les jours suivants, les éléments contrarièrent la promenade vespérale. Pluie, bourrasques de vaudaire, rafraîchissement brutal de la température inquiétèrent le vigneron. M Ile Delariaz s’en aperçut.
– Ce mauvais temps vous ennuie, à cause de la vigne, bien sûr, dit-elle.
Il lui confessa
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