Rive-Reine
hommes valeureux et d’une indiscutable probité.
La banque suisse, constituée par les marchands-banquiers émigrés volontaires, dont les descendants animaient maintenant la grande banque genevoise, existait hors Helvétie depuis le xviii e siècle. Elle fonctionnait alors à Londres, à Paris, à Amsterdam et même à New York, avec les Pictet, les Mallet, les Mirabaud, les Prévost, les Ferrier, les Darier, les Lullin, les Odier, les Gallatin, les Hentsch et d’autres. Ces hommes d’affaires possédaient le plus souvent des maisons de commerce, des entreprises de transport, terrestre ou maritime, agissaient comme importateurs de denrées coloniales, commanditaires de filatures, vendeurs de textiles en gros. En ce temps-là, on ne pouvait imaginer une frontière entre négoce et banque.
La chute de l’Empire avait conduit à l’abandon du système décimal, fondé sur le franc germinal, et au retour, dès la restauration de l’indépendance helvétique, au pluralisme confondant des anciennes monnaies. Les banquiers genevois revenus au pays s’étaient, peu à peu, dégagés du négoce pour se consacrer aux seules activités bancaires : change, arbitrage, gestion de fortune, prêts et emprunts, émissions de lettres de change, de crédit, de billets au porteur, tous papiers évitant le transport des espèces : écus, pièces d’or ou d’argent.
Sans être aussi prestigieuse ni bien nantie que la maison De Candolle, Turrettini et C ie , la banque Laviron-Cottier se distinguait par le fait qu’elle n’avait qu’un seul propriétaire et animateur, Pierre-Antoine Laviron, successeur de Jules-Henry, décédé, et de l’associé de ce dernier, Marc-Aurèle Cottier, également décédé. En épousant Anaïs Cottier, fille unique de l’associé de son père, Pierre-Antoine avait transformé, par cette union, l’association de la première génération en fusion au bénéfice de la seconde.
M. Laviron, grand, musculeux, sanguin, brun de poil, plein d’assurance et d’autorité, portait les cheveux courts et lisses, partagés par une raie médiane du front à la nuque. Un pince-nez cerclé d’or désertait à chaque instant son nez mais, retenu par un cordon de soie noire, glissait sur sa bedaine. D’un geste machinal, le banquier le repêchait d’une main potelée pour en jouer ou rendre le lorgnon à son perchoir naturel. Il accueillit fort aimablement le fils de Guillaume Métaz dont il avait toujours apprécié le sérieux, la prudence en affaires et le sens de l’économie.
– Quelle drôle d’idée a eue Monsieur votre Père de s’en aller en Amérique, en abandonnant sa famille et ses entreprises ! commenta-t-il.
– Mon père avait ses raisons, monsieur, se contenta de répondre hâtivement Axel.
– Bien sûr, bien sûr, mon garçon ! Chacun mène ses affaires comme il l’entend. Et vous, comment comptez-vous conduire celles que vous a laissées Monsieur votre Père ?
– Comme il me l’a enseigné, monsieur, et avec vos conseils, si nécessaire, dit aimablement Axel, se souvenant, devant l’air sévère du banquier, que Voltaire disait de Genève, ville d’argent censée compter quatre-vingt-cinq millionnaires pour vingt-trois mille habitants : « On y calcule et jamais on n’y rit. »
– Des conseils, certes, je vous en donnerai à l’occasion, mais vous devez savoir que l’époque n’est guère favorable aux affaires nouvelles. Il y a marasme dans le commerce de transit. Les négociants et grossistes de Berne, de Zurich, de Lucerne, de Saint-Gall et même de Lausanne font maintenant leurs achats de denrées coloniales directement dans les ports de France, de Belgique, de Hollande ou d’Italie. On les livre par le Rhin et par les grandes routes de la Faucille et du Simplon, que M. Métaz a contribué à construire. Beaucoup croyaient que la chute de Napoléon apporterait de la prospérité. Eh bien, c’est le contraire qui s’est produit. Malgré les guerres, les annexions, les destructions, la loi impériale imposée à divers peuples, Napoléon avait créé en Europe un vaste marché, d’au moins quarante millions de consommateurs, plus ou moins argentés, mais qui entendaient, comme on le leur avait promis, manger à leur faim et commercer librement, n’est-ce pas ?
– Les souverains européens ne s’opposent pas aux échanges internationaux. On m’a même dit, en Italie, qu’ils souhaitent prolonger,
Weitere Kostenlose Bücher