Rive-Reine
colons spontanée.
» Quant aux Indiens, présentés comme de méchants Sauvages en Europe, ils ne sont pas aussi primitifs qu’on le dit. Quelques-uns viennent voir les colons, pour échanger les peaux de castor qu’ils proposent contre les outils dont ils ont besoin et des médicaments. Le gouvernement interdit qu’on leur vende ou donne de l’eau-de-vie, qui est pour eux un véritable poison. J’en connais un vieux, très aimable, bon chasseur, qui me salue toujours en disant : “Cousin, êtes-vous encore en vie ?” Je réponds que je suis bien vivant, mais, s’il me rencontre trois fois dans la journée, il lance la même phrase, comme s’il s’inquiétait à chaque instant de mon trépas ! C’est leur façon à eux d’être polis ! »
Après l’exposé de maints détails domestiques, Guillaume annonçait qu’il avait placé Blandine en pension, à Boston, « dans la meilleure institution de la ville où ne vont que les filles des gens aisés et où elle complétera son instruction et apprendra des manières de lady. Dès son arrivée, j’avais bien compris qu’elle souffrait du manque de confort. Elle pleurait tous les soirs en regardant ses mains qui, peu habituées aux gros travaux d’une ferme, devenaient rouges et gercées. J’ai pensé que c’était mieux pour elle de parfaire son éducation que tenir mon ménage, assez rudimentaire, ce que fait très bien, et pour presque rien, la femme du journalier que j’ai embauché dès mon arrivée. J’ai même proposé à ta sœur de la renvoyer en Suisse, mais elle a refusé, préférant aller en pension à Boston où elle savait retrouver deux filles de gros négociants qu’elle avait connues chez les nonnes de Fribourg.
» Tu peux raconter tout ce que je t’écris à ta mère, bien que je ne sache pas si Blandine juge bon de lui donner de ses nouvelles. »
Guillaume Métaz concluait en demandant à Axel de cougner 13 un peu Charles Ruty pour qu’il le « sorte au plus vite de l’encouble 14 du divorce. J’attends l’annonce de ma liberté comme un innocent emprisonné », ajoutait-il.
Quand Axel, quelques jours plus tard, transmit au notaire l’impatience de son père, Charles Ruty se mit à rire.
– Mon pauvre Axel, il m’écrit tous les mois pour me demander où en est son affaire. J’ai peur d’indisposer les juges de Lausanne, qui n’ont pas que des divorces à traiter. Et puis, veux-tu que je te dise, je ne comprends rien à cette hâte. À croire qu’il a déjà rencontré une belle sauvagesse et qu’il veut convoler !
Axel mit l’été à profit pour visiter les carrières de Meillerie et autres dont il était propriétaire, trouver du fret pour ses barques, organiser avec Régis Valeyres la comptabilité de ses affaires afin de pouvoir, à tout instant, rendre des comptes à son père et à sa sœur. Ses distractions furent rares, quelques sorties en solitaire sur le lac, des soirées chez les Ruty où les bonheurs parallèles de Nadine et de Nadette faisaient plaisir à voir, de brefs séjours chez sa mère à Lausanne. Quand vint le rituel des vendanges, il s’y prêta avec sérieux, suivant les conseils de Simon Blanchod. Puisqu’il entendait remplacer son père en toute chose, il présida avec naturel le dîner traditionnel qui marque toujours la fin des vendanges et ouvrit la fête en dansant le picoulet avec la fille du pasteur.
Sachant son allocution attendue et son expression guettée, il demanda à tous ceux qui venaient de travailler à la prospérité de son vignoble de ne pas lui tenir rigueur du peu de temps qu’il avait consacré à la vigne à cause de ses études. Puis il donna des nouvelles de Guillaume, l’Américain, comme si l’exil de M. Métaz était une chose banale et depuis longtemps prévue. Il précisa enfin, pour couper court à toute allusion insidieuse des commères, que M me Métaz se portait bien et s’intéressait beaucoup aux bonnes œuvres de Lausanne où, ajouta-t-il, elle résidait provisoirement !
– L’an prochain, nous aurons une plus belle fête. Laissez-moi le temps de devenir un meilleur vigneron, afin d’être digne de remplacer mon père.
Nanette Bonnaveau, l’épicière poète de la rue d’Italie, tint à lire un compliment en vers, qu’elle jugeait de circonstance et de nature à plaire à Axel :
J’ose espérer que le nom que tu portes,
Ce nom toujours synonyme d’honneur,
Sera pour
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