Robin
laissé
dans la terre meuble de lourdes empreintes parfaitement visibles – et,
parfois, des marques de chute – qui permettaient au chevalier et à ses
hommes de progresser sans difficulté. Au bout de quelques centaines de pas,
elles rejoignaient une sente empruntée par des cerfs, et se mélangeaient à
celles de leurs rapides cousins.
Le sentier suivait un flanc de
coteau vallonné, qui s’élevait et chutait au même rythme que l’escarpement
rocheux jusqu’à atteindre une trouée au fond de laquelle coulait un ruisseau.
Là, les traces changeaient de direction pour suivre le filet d’eau qui
s’écoulait depuis le cœur de la forêt, avant d’aller se jeter dans la rivière
qui passait au pied du château. Au bout d’un moment, les berges se firent plus
escarpées et plus rocailleuses, le ruisseau s’enfonça peu à peu dans le sol et
finit par disparaître au fond d’un ravin argileux.
La petite troupe s’enfonça
davantage encore dans la forêt. Les arbres étaient plus vieux et plus grands,
les broussailles plus denses. La lumière du soleil ne perçait plus la
végétation que par intermittence, formant çà et là des flaques vert clair.
Quand ils eurent atteint l’arête d’une colline, Guiscard les fit stopper pour
observer le chemin devant eux. L’air était calme et humide, les traces sombres
et fraîches. Le chevalier ordonna à ses compagnons de descendre de cheval et de
continuer à pied. « Les voleurs n’ont pas dû aller bien loin, leur dit-il.
Le seul pâturage à leur disposition se trouve derrière nous. Ils ne voudront
pas trop s’en éloigner.
— Qu’est-ce qui vous fait
penser qu’ils ont l’intention de faire paître les bœufs ? s’étonna un des
soldats.
— D’aussi bonnes bêtes ?
se moqua le chevalier. Qu’est-ce qu’ils pourraient en faire ? »
L’homme haussa les épaules, puis
cracha. « Les manger. »
Guiscard lui lança un regard noir.
« En route. »
La piste se poursuivait sur l’autre
flanc de la colline, sous des arbres centenaires toujours plus imposants. Les
branches les plus hautes s’élevaient dans le ciel, formant une dense canopée de
feuilles éclatantes qui cachaient presque le soleil. Quand le chevalier
s’arrêta à nouveau, les bois étaient devenus aussi sombres et silencieux qu’une
église vide. Seuls restaient audibles le bruissement et le pépiement des
oiseaux, invisibles dans les branchages.
De petits épineux – des
mûriers et des buissons de myrtilles – poussaient à hauteur d’homme de
chaque côté du chemin ; une centaine de pas plus loin, le sentier se
resserrait en un étroit corridor avant de disparaître dans un talus impénétrable
de ronciers. Alors qu’ils s’en approchaient, ils découvrirent qu’en fait il
bifurquait brusquement sur la gauche. Les bœufs étaient passés entre deux haies
enchevêtrées. On avait dû les forcer à s’y faufiler un par un – il y avait
des touffes de poils fauves prises dans les épines les plus près du sol. Le
silence de la forêt avait laissé place à un jacassement de corbeaux en
provenance de l’autre côté du talus. Parvenant tant bien que mal à se frayer un
chemin à travers la haie, la petite troupe déboucha dans une clairière. Le
vacarme aviaire s’était transformé en cacophonie perçante.
Après avoir empoigné leurs lances,
les soldats sortirent en rampant des broussailles. La petite prairie baignée de
soleil était entourée de bouleaux et de sorbiers. En son centre bouillonnait un
véritable monticule d’oiseaux noirs – il y en avait des centaines.
Corbeaux, corneilles, craves, geais et autres se disputaient quelque chose sur
le sol ; ils étaient plus nombreux encore à décrire des cercles dans les
airs, masse vivante de plumes, d’ailes et de becs. L’atmosphère était lourde
d’une puanteur douceâtre.
« Chassez-les », ordonna
Guiscard. Quatre soldats se précipitèrent dans le tas en hurlant, leurs lances
brandies devant eux.
Les oiseaux s’envolèrent à
tire-d’aile dans le ciel en poussant des cris rauques et stridents. La plupart
se posèrent dans les branches environnantes, où ils poursuivirent leur concert
outragé.
Les volatiles partis, le chevalier
approcha avec le reste de sa troupe. Immobiles comme des statues, leurs quatre
camarades semblaient captivés par le spectacle devant eux.
« Faites place », leur
enjoignit Guiscard en arrivant. Les soldats s’effacèrent, le chevalier
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