Robin
en
amont jusqu’à un endroit ombragé où, après avoir relevé sa longue robe marron
entre ses jambes, il en passa l’extrémité dans sa ceinture et avança dans l’eau
fraîche. « Aaah, soupira-t-il d’aise, une vraie bénédiction en cette
chaude journée d’été. Merci, Jésus. Merci infiniment. »
Lorsque les marchands reprirent
leur route quelques minutes plus tard, il décida de ne pas les suivre, heureux
de pouvoir profiter encore un peu de la rivière. D’après ce qu’il avait entendu
dire, Llanelli se trouvait à moins d’un quart de journée de voyage du gué.
Personne ne l’attendait, aussi pouvait-il prendre autant de temps qu’il le
souhaitait. S’il atteignait le monastère à la tombée de la nuit, il
s’estimerait heureux.
Le gros frère pataugeait dans la
rivière en fredonnant, observant les petits poissons agiles, profitant de la
journée comme s’il s’était agi d’un abondant festin de viande et de bière
déployé devant lui. Sa mission, Dieu le savait, faisait de lui un pécheur.
Comment l’idée lui en était venue,
il n’aurait su le dire. Une conversation qu’il avait surprise – une rumeur
de place de marché, un mot entendu par hasard, prononcé par un étranger de
passage – l’avait travaillé, plongeant profondément ses racines dans son
esprit, œuvrant en silence jusqu’à éclore sans crier gare comme quelque fleur
nauséabonde. Alors qu’il se tenait devant une boucherie, à chicaner sur le prix
d’une couenne de bacon, ses jambes arquées avaient soudain décidé de le ramener
incontinent à l’oratoire, où il s’était mis à prier Dieu de lui pardonner
l’idée totalement immorale qui avait germé si violemment dans son cerveau
séditieux.
« Oh, mon âme. » Il avait
secoué la tête en soupirant, sidéré par les arcanes tortueux de son esprit.
Bien qu’il eût passé la nuit à
genoux, à supplier tant le pardon qu’une voie à suivre, il n’avait pas reçu
plus de conseil divin que de pardon papal quand l’aube s’était levée à l’est.
« Si vous avez des scrupules, Seigneur, arrêtez-moi à l’instant. Sinon, je
partirai. »
Comme rien ne s’était matérialisé
pour l’en empêcher, il s’était levé, avait lavé son visage et ses mains, enfilé
ses sandales, puis s’était empressé de mettre son projet en pratique. Ce
n’était pas – il était catégorique sur ce point – pour son
enrichissement personnel : il ne désirait rien de plus que la justice.
C’était le cœur de la question. La justice. Car, ainsi que ne cessait de le
répéter son vieux Père supérieur, « quand l’iniquité siège sur le fauteuil
du jugement, les hommes bons doivent en appeler à un tribunal supérieur ».
Aethelfrith ne savait comment
former pareil pourvoi, mais il espérait que ses informations donneraient à Bran
toute l’inspiration dont il aurait besoin pour au moins mettre les choses en
branle.
Les ombres s’allongeaient sur la
vallée, et le chemin à parcourir ne diminuait pas. À contrecœur et avec force
grognements, Aethelfrith sortit de l’eau, s’essuya les pieds dans l’ourlet de
sa robe, et reprit sa route. Le convoi des commerçants était bien loin devant
lui à présent, mais il ne regrettait aucunement leur désagréable compagnie. Il
ne tarderait pas à apercevoir sa destination. Les champs verts de la vallée de
l’Elfael s’étendaient devant lui, mouchetés des ombres paresseuses des nuages.
Il doutait qu’on puisse trouver ailleurs vallée plus paisible.
Revigoré par la beauté des lieux,
frère Aethelfrith ouvrit grand la bouche et commença à chanter, laissant sa
voix résonner à travers la vallée tandis qu’il descendait la longue pente qui
finirait par le conduire à Llanelli.
Il fut trempé de sueur bien avant
d’en atteindre le bas. Au loin, il aperçut Caer Cadarn – la vieille
forteresse dominait la route sur une éminence rocheuse. « Que tes murs te
protègent autant que ceux de Jéricho », marmonna-t-il avant de se signer.
Le soleil effleurait les collines
les plus à l’ouest quand il arriva à Llanelli, ou du moins ce qu’il en restait.
Le mur bas de l’enceinte avait été démoli, tout comme la plupart des structures
intérieures – seules quelques-unes avaient été reconverties pour servir à
d’autres usages. La cour avait été élargie pour devenir une place de marché, et
de nouveaux bâtiments – en cours de construction, leurs poutres nues
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