Robin
s’atténuera comme un mauvais
goût dans la bouche. Un jour il sera parti, pour ne plus vous laisser que la
douceur des bons moments passés.
— Il n’y en avait guère,
grimaça Bran. Mon père, le roi, n’était pas un homme facile.
— Je pensais aux autres, à vos
amis de la garde. »
Bran accueillit la remarque par un
grognement.
« Mais vous avez raison,
poursuivit Ffreol en brisant une autre brindille. Brychan n’était pas un homme
facile. Dieu soit loué, vous avez une chance de changer les choses en devenant
meilleur roi que votre père.
— Non. » Bran ramassa
l’écale séchée d’une faine et la jeta dans le feu, comme pour confier son
avenir incertain aux flammes. Peu lui importaient le trône et les difficultés
qui l’accompagnaient. Et de toute façon, quel intérêt aurait l’identité du
prochain roi ? « Tout est fini à présent. Tout.
— Tu vas devenir roi,
déclara Iwan, qui se tira de sa morne rêverie pour l’occasion. Le royaume sera
restauré. N’en doute pas. »
Bran, justement, en doutait. La
majeure partie de son existence, il avait sciemment fait montre d’un vif
désintérêt pour tout ce qui touchait à la royauté. Jamais il ne s’était imaginé
sur le trône de son père à Caer Cadarn, ou menant des troupes à la bataille.
Ces choses-là, comme toutes les charges de la noblesse, étaient du seul ressort
de son père. Bran avait toujours autre chose à faire. Pour autant qu’il pût en
juger, régner revenait peu ou prou à se coltiner sans cesse frustrations et
contrariétés depuis le moment où l’on ceignait la couronne jusqu’à celui où on
vous la retirait. Seule une brute avide de pouvoir comme son père pouvait
briguer pareil labeur. Il avait beau tourner la question dans tous les sens, il
ne se sentait pas prêt, à présent que la question se posait, à payer le lourd
tribut que la souveraineté exigeait, un tribut qu’il avait pu jauger de
première main.
« Tu deviendras roi, réaffirma
Iwan. Sur ma vie, je te le promets. »
Guère enclin à décevoir les espoirs
du champion blessé, Bran retint sa langue. Tous trois se turent, perdus dans la
contemplation du feu, à l’écoute des bruits d’animaux qui emplissaient la forêt
alentour à l’approche de la nuit. Finalement, Bran demanda : « Et
s’ils ne nous reçoivent pas à Lundein ?
— Oh, William le Rouge nous
recevra, ne t’inquiète pas. » Iwan releva la tête et regarda Bran
par-dessus le feu. « Tu es un seigneur venu lui prêter allégeance, il ne
pourra que s’en réjouir. Il t’accueillera comme son égal.
— Je ne suis pas roi, fit
remarquer Bran.
— Tu es l’héritier du trône,
répliqua le champion. Cela revient au même.
— Quand nous retournerons en
Elfael, intervint Ffreol, nous observerons les rites et cérémonies d’usage.
Mais le premier acte de votre règne sera de placer l’Elfael sous la protection
du trône anglais et…
— Et nous deviendrons tous les
esclaves serviles de ces Ffreincs puants, le coupa Bran sur un ton de reproche
agressif. À quoi bon, pardieu ?
— Pour garder nos
terres ! riposta Iwan. Ainsi que nos vies.
— Si Dieu et le roi William le
veulent bien, ironisa le jeune homme.
— Non, Bran, dit Ffreol. Nous
allons certes payer un tribut, mais ce n’est pas un prix si élevé pour vivre
notre vie tel que nous l’entendons.
— Rendre hommage à des brutes
qui pilleraient nos terres si nous nous y refusions, gronda Bran. L’affaire
empeste jusqu’au plus haut des cieux.
— Sent-elle aussi mauvais que
la mort ? » répliqua Iwan. Piqué au vif par le sarcasme, Bran se
contenta de lui lancer un regard furieux.
« C’est injuste, concéda
Ffreol en signe d’apaisement, mais c’est ainsi que les choses se passent.
Toujours.
— Pensais-tu que ce serait
différent ? demanda Iwan avec colère. Par tous les saints et les anges,
Bran, ça n’a jamais été facile.
— Ça pourrait au moins être
juste, marmonna le prince.
— Juste ou pas, vous devez
faire tout ce qui s’imposera pour protéger nos terres et la vie de nos gens,
lui dit Ffreol. Pour protéger les moins capables de se protéger eux-mêmes. Cela
au moins n’a pas changé, ça a toujours été l’unique objectif, l’unique devoir
de la royauté. Depuis l’origine du monde. »
Bran admit l’observation sans le
moindre commentaire. Il fixait le feu d’un air sombre, regrettant de ne pas
avoir suivi sa première
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