Robin
pour l’amour de Dieu, descendez de là ! »
Trébuchant sur les morts, le moine
attrapa Bran par la manche et le tira en bas du monticule, espérant lui faire
entendre raison.
Le prince finit par percevoir la
voix de Ffreol et par sentir ses mains sur lui. Sa rage reflua, et le voile
sanglant à travers lequel il voyait le monde s’estompa jusqu’à finalement
disparaître, le laissant aussi faible et vide qu’après une épuisante nuit de
cauchemar.
« Mais qu’est-ce qui vous a
pris ? » lui demanda frère Ffreol.
Bran secoua la tête. « Je
pensais… je…» Pris d’un haut-le-cœur, il tomba en avant à quatre pattes et
commença à vomir.
Ffreol resta à ses côtés jusqu’à ce
qu’il ait terminé. Une fois Bran en mesure de se relever, le prêtre se tourna
vers le monticule macabre et tomba à genoux dans la terre meuble. Le prince
l’imita aussitôt, tout comme Iwan, sitôt qu’il fut descendu à grand-peine de
son cheval. Frère Ffreol écarta ses bras paumes vers le haut, en une supplique
servile.
Le prêtre ferma les yeux et leva la
tête en direction du ciel. « Père Miséricordieux, nos cœurs saignent,
percés par la flèche affûtée du chagrin. Les mots nous manquent ; notre
âme vacille ; notre esprit se rebelle face à cette odieuse iniquité. Nous
sommes perdus.
« Créateur de toutes choses,
accueille les âmes de nos parents dans Ta Grande Maison, pardonne leurs péchés,
ne te souviens que de leurs mérites, et unis-les à toi des liens
indestructibles de la communion.
« Quant à nous, ô Père
Tout-Puissant, empêche-nous de succomber au péché de la haine comme à celui du
désespoir, mais protège-nous des plans malicieux de nos ennemis. Avance avec
nous sur cette route incertaine. Envoie des anges devant nous, derrière nous, à
nos côtés dans le ciel comme sur terre, pour nous garder, nous protéger, nous
couvrir de leur magnificence. » Il se tut quelques instants, puis
ajouta : « Puisse le Saint-Esprit nous donner le courage de rester
droits, de même que la force d’affronter ce jour et tout ce qui pourrait nous
arriver par la suite. Amen. »
Bran, agenouillé à ses côtés, le
regard fixé sur le sol, essaya de prononcer son propre « Amen », mais
le mot mourut dans sa gorge, comme coagulé. Au bout d’un moment, le jeune homme
releva la tête et regarda une ultime fois le tas de cadavres avant de s’en
détourner.
Puis, tandis qu’il s’enfonçait dans
la rivière pour faire disparaître de ses mains et de ses habits la puanteur de
la mort, Ffreol et Iwan recouvrirent les corps de branches fraîchement coupées
de noisetier et de houx, les plus efficaces pour éloigner les oiseaux. Une fois
que Bran en eut fini, les trois compagnons abattus remontèrent en selle et
s’élancèrent, accompagnés par la cacophonie des charognards qui reprenait de
plus belle derrière eux. Ils traversèrent la frontière avec l’Angleterre aux
environs de midi et parvinrent peu après en vue d’Hereford. La ville grouillait
de Ffreincs à présent, aussi décidèrent-ils de ne pas s’y arrêter. Après
Hereford, la route devenait large et facilement praticable, en dépit des
profondes ornières qui l’émaillaient. Ils ne croisèrent que peu de gens et ne
parlèrent à personne, faisant semblant d’être en grande conversation chaque
fois que quelqu’un s’approchait d’eux. Ils demeuraient constamment sur leurs
gardes.
Au-delà d’Hereford, les terres
descendaient en pente douce en direction des plaines et de l’estuaire de
Lundein, toujours invisible derrière l’horizon vallonné des collines cultivées.
Comme le jour commençait à tomber, ils trouvèrent refuge dans un bosquet de
hêtres à proximité de la route et du gué suivant ; tandis que Bran
s’occupait de nettoyer les chevaux, Ffreol prépara un repas en puisant dans
leurs sacs à provisions. Ils mangèrent en silence, Bran absorbé dans l’écoute des
freux qui se réfugiaient en masse dans les bois pour la nuit. Les images des
corps brisés de ses amis lui revinrent en mémoire. Il s’efforça de se
concentrer sur le feu pour les chasser de son esprit.
« Cela prendra du temps, lui
dit Ffreol, dont la voix bourdonnait au loin dans les oreilles du prince, mais
le souvenir finira par s’estomper, croyez-moi. » Ces paroles sortirent
Bran de sa torpeur. « Le souvenir de cette sombre journée, ajouta Ffreol
en cassant des brindilles pour nourrir le feu. Il
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