Robin
plus encore.
L’ambition qu’il avait nourrie à l’égard de la couronne était morte ce
jour-là ; le trône de l’Elfael aurait pu tomber en poussière sans que cela
lui importât.
Ils décidèrent de ne pas rester une
nuit de plus à Lundein ; ils fuirent l’agglomération comme si des démons
les avaient poursuivis. La lune était presque pleine, et le ciel sans nuage,
aussi chevauchèrent-ils la nuit durant, ne s’arrêtant que peu avant l’aube pour
laisser les chevaux se reposer et dormir. Bran prononça à peine quelques mots
ce jour-là, tout comme le lendemain. Ils finirent par atteindre l’oratoire, où
frère Aethelfrith parvint à les convaincre de passer la nuit ; par égard
pour Iwan, qui se remettait lentement de ses blessures, Bran accepta. Tandis
que le frère s’agitait en tous sens pour préparer un repas à l’intention de ses
invités, Bran et Ffreol allèrent prendre soin des chevaux et les installèrent
pour la nuit.
« Ce n’est pas juste »,
grommela le jeune homme tout en fixant la longe au mince tronc d’un hêtre. Il
se tourna vers Ffreol et s’exclama : « Je ne comprends toujours pas
comment le roi a pu ainsi nous vendre. De quel droit ?
— William le Rouge ?
répondit le moine, surpris par le soudain accès de colère de Bran que son
silence prolongé ne laissait pas présager.
— Oui, William le Rouge. Il
n’a aucune autorité sur le Cymru.
— Les Ffreincs prétendent que
le pouvoir royal descend de Dieu, fit remarquer Ffreol. William se réclame de
ces droits divins pour agir.
— Qu’est-ce que l’Angleterre a
à voir avec nous ? demanda Bran. Pourquoi ne nous laissent-ils pas
tranquilles ?
— Répondre à cela, répondit le
moine avec sagesse, reviendrait à résoudre une énigme éternelle. Tout au long
de l’histoire de notre race, nulle tribu ou nation n’est jamais parvenue à nous
laisser en paix. »
Cette nuit-là, Bran demeura assis
dans un coin à proximité de l’âtre, à boire du vin à petites gorgées, en
ruminant l’arbitraire du roi ffreinc, l’iniquité d’un monde dans lequel les
caprices d’un seul homme pouvaient condamner tant de gens, et les injustices
petites et grandes apparemment sans limite de l’existence. Et pourquoi tout le
monde espérait-il de lui qu’il arrange cela ? « Pour l’Elfael et
le trône », lui avait dit Ffreol. Eh bien, le trône de l’Elfael
n’avait rien fait pour lui – à part lui donner un père distant et
désapprobateur. Si le trône de l’Elfael n’existait pas – voire l’Elfael
lui-même et tous ses habitants –, le monde serait-il si différent ?
Le monde s’en rendrait-il même compte ? Du reste, si Dieu dans Sa grande
sagesse avait accordé Sa bénédiction au roi William, s’il avait décidé de
donner Son divin accord à l’ascension ffreinc, qui étaient-ils, tous autant
qu’ils étaient, pour s’y opposer ?
Quand le ciel décidait de se
joindre à votre adversaire, comment lutter ?
Tôt dans la matinée suivante, les
trois compagnons remercièrent frère Aethelfrith pour son aide, lui firent leurs
adieux, puis reprirent leur voyage en direction de l’Elfael. Au terme de trois
jours de chevauchée, ils arrivèrent en vue de la grande étendue arborée qui
formait la frontière entre l’Angleterre et le Cymru. Les sombres pensées qui
les avaient accompagnés tout au long du trajet commencèrent enfin à s’adoucir.
Une fois à l’abri des bois de Coed Cadw, l’oppression de l’Angleterre et de son
roi cupide ne leur semblait plus qu’une simple contrariété. La forêt avait
survécu aux ravages des hommes et à leurs mesquines affaires depuis l’aube des
temps, et toujours elle l’emporterait. Que pouvait faire un Ffreinc rouquin
contre ça ?
« Ce n’est que de l’argent,
après tout, fit observer Ffreol, que l’optimisme rendait expansif. Il nous
suffit de les payer pour que l’Elfael retrouve la paix.
— Si c’est de l’argent que le
Roi Rouge veut, intervint Iwan en se joignant à la conversation, c’est ce qu’il
aura. Nous rachèterons notre terre à ces bâtards cupides de Ffreincs. »
— Il y a deux cents marks dans
le coffre-fort de mon père, dit Bran. C’est un début.
— Et loin d’être
négligeable », déclara Iwan. Ils se turent quelques instants.
« Comment allons-nous obtenir le reste ? finit-il par demander,
exprimant à voix haute ce que tous trois pensaient.
— Nous allons
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