Robin
envisageait
aussi le jour où les Cymry redeviendraient libres. Aussi, quand William, duc de
Normandie, avait assis sa graisse sur le trône d’Harold en ce Noël funeste,
Brychan avait-il juré qu’il mourrait plutôt que de prêter allégeance à un
usurpateur ffreinc, quel qu’il fût.
En fin de compte, se dit Bran,
cette rodomontade maintes fois répétée avait fini par jouer contre lui –
et de quelle manière. Brychan était mort, ses guerriers avec lui, et de pâles
étrangers autoritaires sévissaient partout sur ses terres.
Et maintenant, père ? pensa
Bran avec amertume. Est-ce ce que vous espériez accomplir ? Le vil
ennemi est assis sur votre trône, et votre héritier moisit dans une fosse.
Êtes-vous fier de votre legs ?
Bran ne fut en fin de compte libéré
que le matin suivant, pour être conduit dans la grande salle de son père. On
l’amena devant un jeune homme svelte, à peine plus vieux que lui, qui malgré la
douceur de ce jour ensoleillé se tenait voûté à proximité de l’âtre,
réchauffant ses mains blanches aux flammes comme au plus fort de l’hiver.
Vêtu d’une impeccable tunique bleue
et d’une cape jaune, l’individu au visage émacié considéra l’apparence
misérable de Bran avec une grimace de dégoût. « Répondez-moi si vous le
pouvez, Breton », dit-il. Au moins Bran comprenait-il son latin, en dépit
de son fort accent. « Comment vous appelez-vous ? »
La vision de cet intrus blond assis
sur le fauteuil dont Rhi Brychan se servait comme trône offensa Bran à un point
qu’il n’aurait pas cru possible. Jugeant que son interlocuteur ne lui répondait
pas assez vite, le jeune homme, qui apparemment était le seigneur et chef des
envahisseurs, se leva de son siège et donna à Bran une gifle brutale du revers
de la main.
Bran sentit sa haine prête à
exploser. Il la ravala au prix d’un douloureux effort. « On m’appelle
Gwrgi, répondit-il en prenant le premier nom qui lui venait à l’esprit.
— Où vivez-vous ?
— À Ty Gwyn, mentit Bran. Dans
le Brycheiniog.
— À mon avis, vous êtes
noble » , décida le seigneur normand. Sa barbe duveteuse et ses doux
yeux sombres lui donnaient un air innocent, comme un agneau ou un petit veau.
« Non, répondit fermement
Bran. Je ne suis pas noble.
— Si, soutint son inquisiteur,
je pense que vous l’êtes. Il tendit le bras et attrapa Bran par la manche,
frottant le vêtement entre ses doigts comme pour évaluer sa valeur. « Un
prince, peut-être, au moins un chevalier.
— Je suis un marchand, insista
Bran sans hausser le ton.
— Je crois, conclut le
seigneur ffreinc, qu’il n’en est rien. » Il secoua sa maigre tête d’un air
décidé ; les boucles de ses cheveux virevoltèrent dans le mouvement.
« N’importe quel noble prétendra appartenir au commun s’il est capturé.
Vous seriez stupide de faire autrement. »
Comme Bran demeurait silencieux, le
Normand lui assena un nouveau coup sur la joue, juste en dessous de l’œil. Le
lourd anneau d’or du jeune homme déchira sa chair ; Bran sentit un filet
de sang ruisseler sur son visage. « Je ne suis pas noble, marmonna-t-il à
travers ses dents serrées. Je suis un marchand.
— Quel dommage, grimaça le
jeune seigneur en se retournant. Les nobles, nous les rançonnons – les
mendiants, les voleurs et les espions, nous les tuons, » Il hocha la tête
à l’attention de ses soldats. « Emmenez-le.
— Non ! Attendez !
s’écria Bran. Une rançon ! Vous voulez de l’argent ? C’est ça ?
Je peux en avoir. »
Le seigneur ffreinc dit un mot à
ses hommes qui firent aussitôt halte, Bran toujours serré contre eux.
« Combien ? demanda le jeune homme.
— Une petite somme, répondit
Bran. Suffisamment. »
Le Normand ramena sa cape bleue sur
ses épaules et étudia quelques instants son captif. « Je pense que tu
mens, Gallois. »Le mot ressemblait à une insulte dans sa bouche.
« Mais peu importe. Nous pourrons toujours te tuer plus tard. »
Il se détourna de lui et reprit sa
place à côté du feu. « Je suis le comte Falkes de Braose, annonça-t-il en
se rasseyant dans le fauteuil. Je suis le seigneur de ces lieux à présent,
aussi surveille ta langue, et nous pourrons peut-être trouver un accord
satisfaisant. »
Bran, résolu à apparaître malléable
et obéissant, lui répondit avec respect : « C’est mon plus fervent
espoir, comte de Braose.
— Bien. Alors parlons
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