Robin
l’homme.
— Nous voyagions », marmonna
Bran. Sa voix lui paraissait étrangement sonore ; sa tête vibrait encore
des chocs qu’elle avait reçus.
« En pleine nuit ?
— Moi et mes amis… étions
partis régler des affaires à Lundein. Nous étions sur le chemin du
retour. » Il leva des yeux accusateurs sur son interrogateur ffreinc.
« L’homme que vos soldats ont tué était un prêtre, espèce de…» Bran voulut
se précipiter sur lui, mais le soldat qui tenait la corde tira dessus d’un coup
sec, et le jeune homme retomba sur ses genoux. « Vous brûlerez tous en
enfer.
— Peut-être bien, admit
l’homme. Nous pensons qu’il s’agissait d’un espion.
— C’était un homme de Dieu,
salaud de meurtrier !
— Et l’autre ?
— Quoi, l’autre ? demanda
Bran. Vous l’avez tué lui aussi ?
— Il nous a échappé. »
C’était déjà ça. « Laissez-moi
partir, reprit le prince. Vous n’avez pas le droit de me retenir. Je n’ai rien
fait.
— Que l’on te garde ou pas
prisonnier dépendra de ce que mon seigneur jugera bon de faire, dit le noble
ffreinc. Je suis son sénéchal.
— Qui est votre seigneur ?
J’exige de lui parler.
— Et tu lui parleras, Gallois,
répliqua le sénéchal. Tu viens avec nous. » Il se tourna vers le marchogi
qui tenait les torches : « Attachez-le*. »
Bran passa le reste de la nuit
attaché à un arbre, endolori par son crâne meurtri et sa haine dévorante à
l’égard des Ffreincs. Frère Ffreol, son ami, abattu comme un chien sur la
route, lui-même prisonnier… Ajoutés à l’injustice flagrante des exigences du
cardinal Ranulf, ces derniers événements firent définitivement pencher la balance
dans l’esprit de Bran, balance dont l’équilibre avait déjà été rendu précaire
par la perte de son père et de sa garde.
Il ne cessait de perdre et de
reprendre conscience, ses rêves se mêlant à la réalité jusqu’à ce qu’il ne
puisse plus les distinguer. Dans son esprit il marchait sur un sombre chemin de
forêt, un arc à la main et un carquois de flèches à la hanche. Encore et
encore, il entendait un martèlement de sabots. Lorsqu’un chevalier jaillissait
de l’obscurité en brandissant son épée, Bran tendait calmement l’arc et
décochait une flèche dans le cœur de son assaillant. La même scène se répéta
tout au long de la nuit, jusqu’à ce que Bran s’extirpe de son rêve, laissant
derrière lui un chapelet sans fin de corps joncher la forêt.
La lune se coucha un peu avant le
matin. Bran entendit un hibou pousser des cris dans la cime des arbres
au-dessus de lui. Une fois pleinement réveillé, il se découvrit solidement
ligoté à un gros orme, sans trop savoir comment il avait atterri là. Vacillant
comme s’il émergeait d’une nuit de boisson, il regarda alentour. Des soldats
ffreincs dormaient sur le sol à proximité. En voyant leurs corps inertes, il
avait tout d’abord cru qu’il les avait tués.
Non, ils respiraient toujours. Ils
étaient bien vivants, et lui leur captif. Une douleur lancinante lui vrillait
la tête ; ses côtes le brûlaient là où on l’avait frappé. Il avait un
désagréable goût métallique dans la bouche, comme s’il avait sucé du fer
rouillé. Sa chemise était mouillée de transpiration ; l’air froid de la
nuit le mordait là où le vêtement adhérait à la peau. Il souffrait de la tête
aux talons.
Lorsque le hibou hulula de plus
belle, une bouffée d’images confuses vint submerger sa mémoire : un soldat
ennemi gémissant en se tordant de douleur, son visage sanglant complètement
écrasé ; un essaim de soldats surgissant des ombres ; le corps de
Ffreol recroquevillé sur la route, son ami essayant de parler tandis que sa vie
s’écoulait de sa gorge tranchée ; l’éclair rapide d’une lame au clair de
lune ; Iwan, son cheval cabré, son épée décrivant un large arc mortel
comme il s’échappait au galop ; un casque ffreinc, graisseux de sang, levé
bien haut dans la pâle lueur de l’astre de la nuit…
C’était donc vrai. Il n’avait rien rêvé de tout ça. Au moins pouvait-il encore s’en rendre compte, ce qui le
réconfortait quelque peu. Après s’être dit qu’il devait rester attentif s’il
voulait survivre, il ferma les yeux et pria saint Michel de l’aider en ces
heures difficiles.
Les marchogi ffreincs levèrent le
camp sans crier gare et prirent la direction de Caer Cadarn, Bran ligoté
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