Robin
à son
propre cheval. Les envahisseurs progressaient lentement, ralentis par les bœufs
qui tiraient des chariots remplis d’armes, d’outils et de provisions. Des
forgerons et des maçons les accompagnaient, ainsi qu’un petit nombre de femmes
et d’enfants de soldats. Ce n’étaient pas des maraudeurs, finit par conclure
Bran, mais des colons en armes. Ils venaient en Elfael avec l’intention d’y
rester.
Une fois sortie de la forêt, la
longue cavalcade traversa des terres qui semblaient totalement vides. Personne
ne travaillait dans les champs ; on ne voyait nulle âme qui vive sur la
route ou même autour des quelques fermes et habitations éparpillées dans les
lointains coteaux. Bran en conclut que les moines étaient parvenus à donner
l’alarme et à faire passer le mot ; la population avait fui au monastère
de Llanelli.
Lorsqu’ils furent en vue du caer,
le sénéchal ffreinc partit au galop prévenir son seigneur de leur arrivée. Le
temps qu’ils commencent à gravir la rampe, les portes avaient été ouvertes.
Tout semblait en bon état à l’intérieur – rien qui ne fût pas à sa place,
aucun signe de destruction ou de pillage. Comme si les nouveaux résidents
avaient simplement remplacé les anciens, se contentant de s’intégrer dans le
quotidien du caer sans rien changer.
Les marchogi jetèrent Bran,
toujours entravé, dans la petite cellule située sous la cuisine ; il s’y
morfondit jusqu’au soir. L’obscurité humide et froide se mariait parfaitement
avec sa détresse, qu’il embrassait sans retenue en pleurant ses morts et en
maudissant la cruauté sans borne du destin. Il maudissait les Ffreincs, mais
aussi son père.
Pourquoi, oh pourquoi Rhi Brychan
avait-il attendu si longtemps pour prêter allégeance à William le Rouge ?
S’il avait accepté sa première proposition de paix – comme l’avaient fait
Cadwgan, dans le cantref voisin de l’Eiwas, et bien d’autres rois bretons
depuis –, le trône de l’Elfael serait au moins resté libre ; son
père, la garde et frère Ffreol n’auraient pas péri. Certes, l’Elfael serait
tombée sous le joug ffreinc, y perdant sans doute beaucoup dans l’affaire, mais
ils auraient conservé leurs terres et leurs vies.
Pourquoi Rhi Brychan avait-il
refusé les offres répétées de paix du Conquérant ?
Par entêtement, trancha Bran. Par
pure et mesquine obstination – et certainement par dépit.
La mère de Bran était toujours
parvenue à modérer les vues les plus dures de son mari, à éclairer ses humeurs
les plus sombres. La reine Rhian avait été la source de toute la légèreté, de
tout l’amour dont Bran pouvait se souvenir lorsqu’il évoquait cette période. Sa
mort avait rompu cet équilibre essentiel, et son influence n’avait jamais été
remplacée par une autre. Dans un premier temps, le jeune Bran avait fait de son
mieux pour imiter les manières aimables de sa mère – pour être celui qui
égaierait les sévères dispositions du roi. Il apprenait des énigmes et des
chants, inventait des histoires amusantes à raconter, mais sans jamais parvenir
à donner le change. Sans sa reine, le roi était devenu de plus en plus grave.
S’il avait toujours été exigeant, Brychan s’était transformé en un tyran amer,
méticuleux et mécontent, trouvant à redire à chaque chose et à chacun. Rien
n’était jamais assez bien à ses yeux. Bran, qui faisait son possible pour
plaire à son père et aspirait à ce qu’il le touche d’une main approbatrice,
n’avait jamais vu cette main se lever autrement que pour exprimer la colère.
Aussi avait-il appris très tôt à
privilégier son propre plaisir, puisqu’il était incapable de contenter son
père. Et ce cap, il n’avait cessé de le garder depuis – souvent à la
grande contrariété du souverain, et parfois à son grand désespoir.
À présent le roi était mort. Depuis
l’instant où le Conquérant s’était emparé de la couronne des suzerains anglais,
Brychan lui avait résisté. Devoir supporter les Anglais était déjà suffisamment
difficile ; leur présence séculaire en Bretagne demeurait à ses yeux une
blessure récente sur laquelle on versait du sel presque chaque jour. Brychan,
tout comme ses pères celtiques, comptait le temps non pas en années ou en
décennies, mais en générations entières. S’il se rappelait l’époque où les
Bretons étaient les seuls maîtres de leur royaume insulaire, il
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