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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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transformée en internat, afin d’accueillir des pensionnaires. À l’ouverture
des cours, en 1836, l’établissement n’avait reçu que deux inscriptions, mais, très
vite, la réputation du pédagogue n’étant plus à faire, les élèves s’étaient
présentés. L’institut connaissait un tel succès, depuis la rentrée 1838, que M. Sillig
devait loger les internes chez des particuliers, dans les maisons voisines de
Bellerive. Les premiers collégiens avaient été des Vaudois, mais les fils de
riches étrangers constituaient maintenant la majorité des pensionnaires.
    Âgé de trente-quatre ans, Édouard Sillig appliquait dans son
institut la fameuse maxime de Juvénal mens sana in corpore sano [119] et exigeait de ses élèves la pratique des sports dont le pédagogue se faisait
le promoteur : gymnastique, canotage, natation, excursions pédestres en
montagne, aux rochers de Naye ou à la dent de Jaman, et, l’hiver, concours de
luge. Telles étaient les activités physiques imposées à des garçons dont Sillig
s’engageait à faire non seulement l’instruction mais aussi l’éducation, au sens
large du terme. Dans l’ambiance, à la fois libre et studieuse, d’un collège
anglais, se formait une élite : des gentlemen à la mode suisse [120] .
La devise de M. Édouard, comme l’appelaient les élèves, résumait sa
philosophie : « L’homme le plus heureux est celui qui a suffisamment
de volonté pour faire tout le bien qu’il a résolu de faire. »
    Encouragé par Axel et Louis Vuippens, le professeur
Chantenoz accepta la chaire offerte à Vevey et s’en trouva fort satisfait.
    Au commencement de l’année 1839, Martin, qui devait maintenant
se déplacer une canne à la main, avait déjà suscité chez ses élèves allemands, américains,
italiens et suisses, un certain intérêt pour la réflexion philosophique. À ces
fils de gens fortunés, cocolés, comme disent les Vaudois, par des mères faibles
et que des pères, conscients de l’insignifiance, parfois de la veulerie de leur
rejeton, exilaient chez Sillig avec l’espoir qu’on leur ferait « sentir le
mors », Martin Chantenoz proposait des principes simples et clairs, offrait
des perspectives séduisantes pour l’esprit, éveillait chez les paresseux assez
de curiosité pour qu’ils se décident à ouvrir des livres autres que des romans
libertins. Fidèle à l’atticisme qu’il avait enseigné à plusieurs générations d’étudiants,
le professeur était plus à l’aise dans cette coûteuse pension que dans un collège
soumis à la férule des pasteurs. Il enseignait un humanisme qui l’eût fait
accuser d’athéisme en proclamant avec Protagoras : « L’homme est la
mesure de toute chose » et en assenant à ses élèves le principe socratique
suivant lequel chaque individu doit trouver sa vérité en lui-même. Dans le même
temps, il initiait les garçons à la richesse des textes grecs et latins, à la
beauté inégalée de la statuaire antique. Il s’appliquait, pour ces enfants de
grands bourgeois – chez qui fleurissaient les amitiés particulières, quand
ils ne s’adonnaient pas à l’onanisme, travers que l’on préférait ignorer, aussi
bien dans les familles qu’au collège –, à déculpabiliser le corps par la
maîtrise des instincts, à maintenir en tout comportement le respect de soi-même
et de l’autre. Mettant l’intime dignité de l’être au-dessus de tous les
plaisirs, il démontrait aussi, à travers ses penseurs préférés, qu’il n’est
point nécessaire d’être austère pour être sage ni de se mortifier pour bénéficier
de la bienveillance de Dieu. Il aurait plutôt dit « des dieux », mais
la tolérance dont jouissait son enseignement peu orthodoxe connaissait, même
chez Sillig, des limites.
    Au bout de quelques mois, les plus doués de ces héritiers
présomptifs d’affaires prospères ou de fortunes établies reconnaissaient la
frivolité, l’égoïsme, souvent la niaiserie, du comportement des privilégiés. Certains
de ces garçons, venus s’asseoir sans enthousiasme sur les bancs de l’institut
et qui n’attendaient, depuis le lendemain de leur arrivée, que le moment de
quitter Bellerive pour retrouver le confort et les jouissances réservés à ceux
de leur caste, découvraient que la vie peut offrir des perspectives plus
exaltantes que chausser les bottes de son père.
    Jamais le mentor d’Axel n’avait été aussi libre de
développer sa

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