Romandie
promeneurs, de « poteaux à bras indicateurs des lieux où
conduisent les chemins vicinaux ». Il proposait la démolition de la porte
orientale de la ville, la création de boute-roues, « proprement taillés en
pierre dure », pour protéger de l’agression des chars et voitures les bâtiments
et les piétons ; la construction d’une glacière municipale, où chacun
viendrait s’approvisionner en glace ; d’un bâtiment où les noyés pourraient
« recevoir des secours prompts, utiles et efficaces » ; de « bains-froids
publics à établir sur les bords du lac », d’un « grand réservoir
général des eaux, destiné à l’alimentation des fontaines publiques ».
Dans sa lettre de donation, M. Perdonnet s’intéressait,
aussi, au clocher de la Grenette « dont l’horloge ne marche peut-être
aussi irrégulièrement, que parce qu’elle repose sur le bois ». Il
conseillait de l’abattre « quand on aura adopté un plan nouveau de cette
façade du bâtiment, et de le rétablir, s’il est jugé nécessaire ». Les
Veveysans, qui avaient déjà bénéficié, dans le passé, des largesses occasionnelles
de l’agent de change, notamment lors de la fête des Vignerons de 1833, quand il
avait invité à une gigantesque collation huit cents figurants, portaient une
grande estime à M. Perdonnet. Cependant, le fait qu’il veuille araser le
clocher de la Grenette et qu’il doutât de l’utilité d’une horloge, certes versatile,
mais qui réglait la vie des Veveysans depuis 1808, suscita quelque grogne aux
alentours de la place du Marché.
Une autre exigence du donateur fit sourire et donna lieu à
discussions passionnées. Le changement des noms de rues et un nouveau numérotage
des maisons. M. Perdonnet demandait de « substituer aux noms, la
plupart bizarres, des rues, des noms en quelque sorte immuables, des noms topographiques,
tels que ceux-ci : rue du Lac, promenade du Rivage, rue d’Italie, rue du
Simplon, rue de Lausanne, ou bien des noms qui rappelleraient d’anciennes
limites, d’anciennes destinations de la localité, comme seraient : rue des
Anciens-Fossés-de-la-Ville, place de l’Ancien-Port [121] . »
Après avoir proposé quantité d’autres appellations, M. Perdonnet
ajoutait : « On s’interdira de la façon la plus absolue et sans aucune
exception [ce dernier membre de phrase était souligné] les noms de personnes, ceux
qui seraient tirés de circonstances politiques ou religieuses, ceux qui, de
leur nature, seraient sujets à changer, par suite de révolutions, ou qui pourraient,
dans d’autres temps et sous l’influence d’autres opinions, réveiller des impressions
fâcheuses. Cette exclusion est de rigueur et j’y attache une grande importance »,
concluait le donateur [122] .
À Rive-Reine, on passa une soirée à inventer des noms de rue,
par manière de plaisanterie. Les vieux Veveysans, comme Chantenoz, trouvaient
un peu impertinentes les exigences de M. Perdonnet.
— Cet homme est un vaniteux. Il veut marquer la
postérité de son empreinte, dit-il.
— Afin qu’on dise, dans un siècle ou deux :
« C’est M. Perdonnet qui a fait ceci et cela », renchérit Élise.
— En Amérique, les rues ne sont généralement désignées
que par des numéros, je trouve ça commode et anonyme, dit Régis Valeyres.
— Tu parles comme le comptable que tu es. Rien n’est
aussi triste et sec qu’un chiffre. Et puis toutes les villes seraient pareillement
numérotées et perdraient leur personnalité. Ce serait la fin du terroir. Perdonnet
a raison. Encore que j’aurais bien imaginé une rue Louis-Vuippens, médecin dévoué,
une rue Martin-Chantenoz, poète et philosophe, dit Louis en riant.
— Eh bien ! moi, je trouve que Perdonnet est un
sage. Les noms qu’il propose, inspirés de la topographie, sont évocateurs de
notre cité et d’aucune autre. Et je suis, comme lui, partisan de ne jamais
utiliser des noms de personnes. Là est la vanité des familles que dénoncent
Martin et Élise, déclara Axel.
Au lendemain de la Saint-Jean, Axel dut se rendre à Genève, pour
témoigner, devant un magistrat, qu’il ne s’opposait pas, en tant que parrain d’Alexandra,
à l’adoption de l’orpheline par M. et M me Pierre-Antoine
Laviron.
Dans une cité où régnait encore le seigneur Barrême, dénoncé
autrefois par Voltaire [123] ,
où l’on calculait au plus juste, avec une méfiance calviniste de la dépense
futile, où
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