Romandie
baignés au lac, avant le pique-nique. Comme
il était beau et je crois un peu troublé de me voir dévêtue, si près de lui. »
Axel, décontenancé et ému, resta un moment silencieux, ne
sachant que dire. Ces fleurs décolorées, prêtes à tomber en poussière, lui
révélaient soudain combien il avait été peu attentif à l’amour que lui portait
Juliane.
Alexandra, devinant le serrement de cœur de son parrain, le
prit par le cou tendrement.
— Elle t’aimait très fort, Juliane… et toi, l’aimais-tu
aussi ?
— Je l’aimais bien, oui, dit Axel, ayant conscience, pour
se dérober, de prononcer une banalité édulcorante.
— Si elle n’était pas morte à Paris, vous auriez pu
vous marier, n’est-ce pas ? renchérit l’adolescente.
— Nous n’avions jamais évoqué ce sujet mais peut-être m’aurait-elle
accepté pour mari, en effet, concéda-t-il.
— Et alors, tu serais devenu banquier… et très riche, parrain,
conclut Alexandra en lui posant un baiser sur la joue.
La désinvolture de ce dernier propos n’était qu’un moyen
pour rompre la gêne qu’Alexandra devinait chez Axel.
— Demain, tu veux toujours aller pique-niquer avec moi,
aux Pâquis ? demanda-t-elle, soudain alarmée.
— Mais bien sûr. Pourquoi n’irions-nous pas ? Bonne
nuit.
Quand elle se retrouva seule et porte close, Alexandra remit
l’herbier en place. Elle s’endormit en pensant qu’une belle jeune fille avait
été amoureuse de son parrain et qu’il l’aurait épousée plutôt qu’Élise. Elle
envoya un baiser au portrait de Juliane, qui souriait, mélancolique et complice,
dans un cadre tarabiscoté, suspendu au pied du lit.
Le lendemain, en fin de matinée, Alexandra parut rayonnante,
plus femme que jamais, en toilette d’été. Elle avait choisi une robe bleu clair
à pois blancs, dont l’ample décolleté dégageait les épaules. Très ajusté, le
bustier mettait en valeur la minceur de la taille et les rondeurs jumelles des
seins. La jupe ample, dite balayeuse, virevoltait à chaque enjambée. Enserrés
dans la conque d’organdi d’une capeline, un visage aux traits fins, un regard à
la fois sombre et radieux conféraient à cette orpheline la grâce et le mystère
d’une héroïne romantique.
Elle fit atteler son cheval, un anglo-arabe à robe noire, au
tilbury, la nouvelle voiture anglaise mise à sa disposition par son père
adoptif. Zélia y chargea deux paniers couverts de torchons et un coffret à
couverts. Refusant les rênes à son parrain, Alexandra prit le chemin de la rive
droite, par le pont des Bergues. Cet équipage, léger et élégant, ne passa pas
inaperçu. Il était rare, à Genève, qu’on vît une femme conduire une voiture
rapide alors qu’un homme dans la force de l’âge se trouvait à son côté. Très
droite sur son siège, le buste haut, les coudes levés, Alexandra drivait d’une
main ferme un animal nerveux, dont elle se faisait obéir sans élever la voix.
— Je suis certain que les gens me prennent pour un
infirme, remarqua Axel en riant.
— Les gens ! Nous n’allons pas nous soucier de ce
qu’ils pensent. Le temps est magnifique ! Vois comme le lac est bleu et
nous allons en promenade… comme des amoureux, lança-t-elle.
Ils remontèrent, au petit galop, le quai des Bergues, au
milieu des passants désapprobateurs. À aucun moment, ni l’un ni l’autre ne fit
allusion à leur conversation de la veille.
Après avoir admiré la belle villa de M. Bartholoni, dont
l’avant-corps à quatre colonnes superposées et galerie s’élève au faîte d’un
large escalier jusqu’au toit-terrasse, les promeneurs gagnèrent la berge des
Pâquis. Alexandra, après un instant d’observation, désigna un grand saule.
— Là, nous serons à l’aise pour pique-niquer, dit-elle
avec autorité. J’ai une faim de loup, ajouta-t-elle en engageant le tilbury sur
la grève.
La jeune fille étendit sur le gazon couverture et nappe, puis
tira des paniers le repas préparé rue des Granges.
— Ne sommes-nous pas bien, ici ? demanda-t-elle, ingénument.
N’as-tu pas faim ? Zélia n’a prévu que de l’eau. Tu aurais peut-être voulu
boire du vin ?
Il éluda les questions d’un mouvement de tête et d’un
sourire. Alexandra venait d’ôter sa capeline, libérant ainsi sa coiffure à bandeaux.
Il la trouva dans la fraîcheur de ses dix-sept ans d’une beauté exemplaire.
— Sais-tu que tu es belle, Alexandra ? dit-il
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