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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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pour
s’évader de ses souvenirs.
    — Oui, je le sais, parrain. Et puis, je suis aussi
intelligente, instruite et riche. Je sais tout cela, dit-elle.
    Elle jeta en riant son os de poulet dans le lac.
    — Mais tu n’es pas modeste, constata Axel.
    — Tu penses bien que je n’irais pas parler ainsi devant
n’importe qui, parrain. Mais, toi et moi, c’est la même chose. Pas de fausse modestie
entre nous. Toi aussi, tu es beau, intelligent et riche. Et tu le sais, pas
vrai ?
    — Tu déparles, comme dirait Pernette.
    Axel eût préféré un autre lieu, l’ombre d’un autre arbre, une
journée moins ensoleillée. Le souvenir du pique-nique aux Pâquis, huit ans plus
tôt, avec Juliane Laviron, le rendit soudain silencieux et mélancolique. Ce
jour-là, l’étoffe mouillée d’une tunique lui avait révélé les formes de la
jeune fille, alors qu’elle sortait du bain. Pour la première fois, il avait
désiré celle qui devait mourir l’année suivante.
    « Pourquoi donc cette diablesse d’Alexandra qui, par l’herbier
de Juliane, connaît cet épisode de ma vie, a-t-elle voulu me conduire ici ? »
se demanda-t-il.
    La jeune fille remarqua l’absence de son parrain qui, à demi
allongé, appuyé sur un coude, fixait l’horizon de son regard vairon, comme s’il
s’attendait à voir surgir une barque fantôme.
    — On dirait Tristan guettant le retour d’Yseult ! dit-elle
avec intention.
    — Yseult ne revient jamais, Alexandra, dit-il doucement.
    — Mais il peut arriver qu’elle se réincarne, s’écria-t-elle
d’une voix rauque en se jetant à son cou pour lui plaquer, sur la bouche, le
plus maladroit et le plus tendre des baisers.
    Suffoqué, Axel repoussa violemment la jeune fille, qui roula
sur le gazon. Se couvrant le visage de ses bras croisés, elle se mit à pleurer
en silence. Aussi décontenancé par le baiser de sa filleule que par ses larmes,
il l’obligea à s’asseoir près de lui et, quand elle posa la tête sur son épaule,
il ne s’en écarta pas. Partagé entre l’émotion indignée et la colère, il tira
son mouchoir et essuya les yeux d’Alexandra. Elle murmura un merci plaintif et
son sourire chagrin le bouleversa. Attacher de l’importance à un geste dont l’audace
même révélait peut-être l’innocence, prononcer un sermon moralisateur, se
fâcher, jouer l’offensé, convaincrait Alexandra qu’il prenait son élan au
sérieux. Aussi choisit-il la franche et froide considération.
    — Qu’est-ce qui t’a pris, de m’embrasser ainsi, petite
folle ?
    — Pardonne-moi, je t’ai vu si triste, tout à l’heure, que
j’ai eu envie de te montrer que je t’aime très fort… plus comme une petite
fille, tu comprends ?
    — Je comprends que tu confonds des sentiments qui, c’est
un fait grammatical, sont exprimés par un seul et même verbe, dit-il. Aimer
habille bien des attachements divers, de l’amour maternel à l’amour passion, en
passant par l’amour filial et…
    — Me prends-tu pour une dinde ? coupa-t-elle en se
redressant.
    — Il vaut mieux que je te prenne pour une dinde que
pour une effrontée, Alexandra !
    — Ne pourrais-tu me prendre, tout simplement, pour ce
que je suis : une fille de dix-sept ans, amoureuse de son parrain, dit-elle,
retrouvant son aplomb coutumier.
    — Si j’acceptais de te prendre pour ce que tu dis, je
ne te reverrais pas de sitôt, conclut-il d’un ton sec.
    — Très bien ! Je ne te donnerai plus que des
baisers de nourrice, comme ça ! dit-elle, redevenue rieuse, en effleurant
de ses lèvres tièdes la joue d’Axel.
    Lui, plus troublé et perplexe qu’il ne voulait se l’avouer, elle,
satisfaite d’avoir franchi le pas qui la libérait d’une équivoque artificieuse,
tous deux savaient, maintenant, que leurs rapports seraient autres que ce qu’ils
avaient été jusque-là.
    Quand ils regagnèrent la rue des Granges, au milieu de l’après-midi,
feignant l’oubli d’un incident sans importance, ils offraient l’image édifiante
d’un parrain d’âge mûr, revenant d’une promenade hygiénique avec sa jolie
filleule. Mais Axel, mal à l’aise, décida d’écourter son séjour et prit, le même
soir, le bateau pour Vevey.
    Pendant plusieurs jours, il s’interrogea pour savoir s’il
rapporterait ou non au fidèle Louis Vuippens l’incident des Pâquis. Il décida
finalement de n’en rien faire. Il partageait désormais un secret avec Alexandra.
Le souvenir de ce baiser

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