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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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moment où le
gouvernement genevois voulait expulser les carbonari. Sa demi-sœur n’avait-elle
pas dit : « De celui-là, j’ai le moyen de me faire entendre ! »,
ajoutant qu’elle détenait « un secret, connu de très peu de gens, qu’il
lui déplairait certainement de voir divulguer à Genève ! » Ainsi, la
Tsigane, qui n’en était pas à un chantage près, avait dû en savoir plus que les
Genevois.
    Pendant que les invités prenaient congé de leurs hôtes, M me  Laviron
remit discrètement à Axel un portefeuille de cuir vert, assez grand pour
contenir un in-folio.
    — Je suis certaine que vous serez heureux de posséder
ce souvenir, lui glissa-t-elle avec émotion.
    Ce n’est qu’une fois arrivée à l’hôtel de l’Écu qu’Élise, après
avoir vivement critiqué les commérages, substrat des conversations de la soirée,
donna libre cours à sa curiosité.
    — Vous ne regardez pas votre cadeau ? dit-elle, un
peu pincée.
    Axel ouvrit le portefeuille et fit apparaître un portrait de
Juliane Laviron. C’était une sanguine. Le visage de la jeune fille que le choléra
avait emportée en 1832 y apparaissait, harmonieux. Le regard, à la fois assuré,
rieur et tendre, émut M. Métaz. Le portrait était signé Anicet Laviron, frère
de la défunte, lui aussi victime de l’épidémie parisienne.
    — Voyez comme elle était belle et comme Anicet
dessinait subtilement quand il redevenait classique, dit-il avec chaleur en
montrant le portrait à Élise.
    — Bien belle, en effet. Dommage qu’elle n’ait pas vécu…
vous auriez sans doute fini par l’épouser, ce qui aurait comblé d’aise les Laviron,
n’est-ce pas ! dit-elle, agressive et frémissante.
    Axel, un moment décontenancé par l’algarade, la première
depuis leur mariage, rangea le portrait dans le portefeuille et retint Élise, qui
se détournait pour se diriger vers le cabinet de toilette.
    — Voyons, chère Élise, vous n’allez tout de même pas
être jalouse d’une morte, qui ne fut d’ailleurs rien de plus, pour moi, qu’une
amie !
    — Il ne s’agit pas de jalousie, mon ami. Mais les
Laviron me donnent parfois le sentiment que j’ai épousé un veuf ! lança-t-elle,
rogue, en retirant sa main.
    Axel se tut et laissa sa femme à sa toilette du soir. Cette
nuit-là, après s’être souhaité le bon sommeil, ils se tinrent à distance dans
le grand lit, comme si le souvenir d’une morte, diversement ressenti, interdisait
tout rapprochement physique.
    Quelques jours plus tard, de retour à Vevey, alors que la
scène de l’hôtel de l’Écu était oubliée, que le couple avait retrouvé l’unisson
des pensées et des corps, Axel raconta l’incident à Louis Vuippens, qui avait
connu Juliane Laviron.
    — Mon vieux, les femmes ont la jalousie rétrospective !
Une femme amoureuse considère que le sentiment que l’homme qu’elle aime a pu
avoir, autrefois, pour une autre, avant qu’elle-même apparaisse dans sa vie, est
une part d’amour qui lui a été dérobée. Les femmes ont tendance à voir l’amour
comme un gâteau succulent. Elles ne supportent pas l’idée qu’il ait été entamé
avant qu’elles-mêmes y portent les dents ! C’est ainsi ! conclut le
médecin avec une bourrade.
    Axel estima qu’Élise trouverait plus encore à s’offusquer si,
d’aventure, elle découvrait que d’autres femmes, moins innocemment que Juliane,
avaient meublé son passé. Le gâteau offert à Élise n’avait-il pas été largement
entamé, par une ardente épicière, une Anglaise perverse et l’inoubliable Tsigane ?
     
    Dès les premiers jours de février on sut, de Genève à
Villeneuve, que l’expédition des Polonais et des Italiens contre la Savoie, province
du royaume de Sardaigne, se terminait par un fiasco. La Gazette de Lausanne du 4 février avait annoncé, un peu abusivement, que le général Ramorino, après
avoir traversé la ville de Genève avec mille deux cents hommes équipés et armés,
s’était dirigé vers Chambéry.
    La vérité était autre, moins martiale. Devant Saint-Julien, ville
frontière, les Polonais avaient dû faire retraite en apprenant que quatre mille
soldats, envoyés par le gouverneur sarde de Chambéry, marchaient à leur
rencontre. Les révolutionnaires, soudain moins enthousiastes, s’étaient alors
dirigés vers Ville-la-Grande, près d’Annemasse, où l’état-major de l’expédition
devait prendre ses quartiers en attendant l’arrivée des

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