Romandie
contingents venus de l’Isère,
de l’Ain et, surtout, de Nyon. Mais aucun renfort ne s’était présenté.
Sur les vingt-cinq patriotes attendus de l’Ain, dix avaient
été arrêtés par les autorités françaises et envoyés à Mende, en Lozère. Sept
officiers polonais et trois Italiens, qui avaient réussi à passer dans le pays
de Gex, se trouvaient maintenant internés à Crassier, dans le canton de Vaud.
La barque transportant sur l’Isère cent vingt révolutionnaires
recrutés à Grenoble avait chaviré à Veurey. Ce naufrage fluvial avait provoqué
une véritable débandade. Seuls quelques obstinés, entraînés par un Italien, s’étaient
aventurés jusqu’aux Échelles, près du lac d’Aiguebelette. Les seuls faits d’arme
dont ils n’osaient se flatter – l’exécution d’un carabinier sarde et la
capture de six douaniers – avaient déclenché la riposte immédiate de la garnison
de Chambéry. En un quart d’heure de fusillade, quatre patriotes italiens
avaient été tués, un autre fait prisonnier. Quelques fugitifs se cachaient en
France, d’autres, rattrapés par les gendarmes sardes dans le massif de la
Grande-Chartreuse, peuplaient les prisons grenobloises. Enfin, on ignorait tout
du sort des détachements réunis à Bonneville et à La Roche.
Ainsi que le reconnut un peu plus tard la Gazette de
Lausanne, « les colonnes de réfugiés n’ayant point trouvé dans les
populations savoyardes la sympathie nécessaire au succès », Polonais, Italiens,
Français, Allemands, militants anonymes, n’avaient eu d’autre solution que se
mettre à l’abri derrière la frontière hospitalière du canton de Genève.
Ces événements provoquaient, depuis plusieurs jours, une
effervescence dans les populations riveraines du lac et des discussions
passionnées dans les tavernes. Les radicaux et leurs sympathisants prenaient
fait et cause pour les révolutionnaires malchanceux, alors que les
conservateurs approuvaient les gouvernements genevois et vaudois, chargés par
le Vorort fédéral d’interner ou d’expulser tous les réfugiés mêlés à cette
aventure. Et cela, sous la pression des puissances de la Sainte-Alliance, qui
doutaient avec raison de la neutralité suisse.
Axel avait, quelques semaines plus tôt, sur le conseil de Blaise
de Fontsalte, refusé de louer ses barques aux expéditionnaires. Le samedi 8 février,
il fit atteler son cabriolet et, malgré un temps exécrable, la pluie ayant, suite
au redoux, remplacé la neige, se rendit à Beauregard. Il y trouva son père en
compagnie du général Ribeyre et d’un grand diable de Polonais à toison blanche,
sec comme un échalas, visage émacié, triste et las. Le colonel comte Golewski
rappela au Vaudois le don Quichotte de ses livres d’adolescent. Le comte venait
d’échapper à la milice vaudoise, mobilisée pour se saisir des révolutionnaires
dispersés. Seul et désemparé, il s’était souvenu de la proposition de Blaise de
Fontsalte et avait trouvé refuge chez le général.
Les présentations faites, Axel s’assit pour entendre le
récit de l’expédition, dont Blaise rappela qu’il avait prévu l’échec.
— Dès le 26 janvier, dit le général, s’adressant
au comte, les autorités du canton de Vaud avaient envoyé aux préfets les ordres
reçus du département fédéral de Justice et Police. On demandait de surveiller
vos compatriotes et, aussi, les Italiens qui pouvaient se diriger vers Genève, Grenoble
ou Lyon. Ils devaient être interpellés « par les voies de la douceur d’abord,
ensuite par force ». Ne vous l’avais-je pas laissé entendre, lors de votre
visite nocturne de fin décembre, colonel ?
— Vous aviez, hélas, raison, général. La police et l’armée
sardes disposaient de tous nos plans, et partout nous étions attendus par des
troupes qui connaissaient nos positions et, même, notre ordre de marche ! En
revanche, nous n’étions pas attendus par les populations savoyardes, qui ne
nous ont manifesté ni soutien ni sympathie. J’ai même vu des femmes rire à
notre passage, comme si elles s’attendaient à nous voir repasser bientôt en
sens inverse !
Pressé de donner des détails, le Polonais, détaché par
Ramorino près du capitaine Grabski, commandant de la colonne formée à Nyon, s’exécuta
avec la précision d’un officier d’état-major faisant un rapport d’opérations.
Axel ne connaissait l’affaire que par les articles de la Gazette et les
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