Romandie
pétition et, aussi, la création d’un Conseil
municipal, responsable devant les citoyens.
Les libéraux modérés, du type Laviron, qui souhaitaient une
évolution en douceur vers des institutions plus démocratiques, se sentirent
vite débordés par l’aile gauche du mouvement, essentiellement composée des
radicaux les plus exigeants, entraînés par James Fazy. Ce dernier n’entendait pas
être frustré d’une véritable révolution, laquelle ne pouvait, d’après lui, trouver
sa pleine légitimité que dans la fièvre populaire.
Axel approuva la réflexion du banquier, qui regrettait déjà
son adhésion à un mouvement empreint, à l’origine, de volonté réformatrice et
de sagesse politique mais que James Fazy, révolutionnaire extrémiste, détournait
adroitement à son profit.
— Le Trois-Mars est pour ce sectaire, suppôt des
carbonari, des terroristes et féru de la doctrine communiste, un honorable paravent
derrière lequel il compte, à l’aise, fomenter révoltes et violences pour se
pousser sur le devant de la scène politique. Car cet homme ne peut supporter l’idée
qu’il est possible, et souhaitable pour le bien de la cité, d’obtenir par des
réformes graduelles, concertées et dans la paix publique, ce qu’il entend
arracher d’une façon spectaculaire par la force et l’émeute, constata avec
amertume le banquier.
— En réalité, dit Chantenoz, Fazy sait bien que seule
une révolution de rue peut le porter au pouvoir, sa véritable ambition. Toute
réforme pacifique désamorce son action et le laisse à son rang de tribun
révolutionnaire d’une minorité braillarde et naïve. Il se trouve dans la même
situation que Druey dans le canton de Vaud.
Fazy, renchérissant sur les demandes des pétitionnaires du
Trois-Mars, exigeait, en effet, le remaniement immédiat des institutions, le
suffrage universel, l’autonomie municipale grâce à un conseil de ville électif,
le changement de la Constitution de 1814. Et cela, parce que « le peuple »,
entité vague que le tribun semblait tenir en laisse comme un gros dogue méchant,
le désirait fortement !
— Nous avons déjà entendu chanter ce refrain, lors du
jubilé de la Réformation, en 35, commenta Élise.
Elle détestait Fazy, partisan de la laïcisation de l’instruction
publique, que l’on disait appuyé par le curé Vuarin et toute la communauté
catholique.
— Antoine Élisée Cherbuliez, dans ses Lettres à un
Américain, que vient de publier un journal genevois, répète que les
Genevois, heureux et prospères sous le régime actuel, tiennent les membres de l’association
du Trois-Mars pour une poignée de trublions irresponsables, dit Aricie, qui partageait
le point de vue d’Élise.
Les articles de Cherbuliez agaçaient les réformateurs
modérés, devenus les otages des extrémistes radicaux.
— Je connais bien Cherbuliez, dit Martin. C’est un
brave homme de lettres, qui semble dépourvu de clairvoyance politique. La
violence de ses propos révèle une curieuse faiblesse de caractère et une nervosité
chronique !
Élise semblait se contenir mais son mari devinait, à sa mine
boudeuse, les sentiments qui l’agitaient. Chez la fille du pasteur Delariaz
veillait toujours ce conservatisme calviniste, propre aux mainteneurs les plus
intransigeants de l’Église nationale. Ceux-là mêmes qui avaient vilipendé les
momiers et décrié le mouvement du Réveil, considéré comme encourageant la
création de sectes dissidentes. Pour Élise, un ministre devait être accepté et
reconnu, non seulement comme le pasteur, au sens de conducteur de troupeau, donc
des âmes, mais aussi comme le gérant des intérêts moraux, politiques, parfois
économiques, du pays. Ainsi, cette femme cultivée, que l’on pouvait croire d’esprit
ouvert, étonna-t-elle ses amis en s’insurgeant, soudain avec violence, contre
les exigences démocratiques du mouvement du Trois-Mars.
— Ce sont les mêmes que celles autrefois présentées en
France par le tiers état. Elles ont conduit à la Révolution. Je trouve très
juste cette réflexion d’un visiteur anonyme de notre pays, publiée il y a quelques
mois [144] :
« La culture des temps modernes, cita-t-elle de mémoire, découvre de
secrètes sympathies entre l’âme humaine et les merveilles de la création ;
elle produit Byron. Le tiers état est l’élément anti-poétique de ce monde ;
il produit des chemins de fer, des bateaux à vapeur et des
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