Romandie
quelle femme
en bonne santé, pas trop laide et libre peut vous l’offrir. J’ai accepté vos
conditions et, au fil des mois, je me suis aperçue qu’elles m’agréent.
— Ces conditions sont stupides et d’un égoïsme dont je
devrais avoir honte. Marthe, je vous ai obligée à commencer par où les vrais
amants finissent. J’ai nié les sentiments et, aujourd’hui, les sentiments se
dévoilent. Pardonnez-moi et acceptez mon…
— Taisez-vous, Axel. Il est trop tôt pour user de
certains mots. Ils sont vains et trompeurs, tant que ce n’est pas le cœur qui
les crie. Mais, bien sûr, nous continuerons à nous voir, aussi souvent que vous
le voudrez. J’en suis ravie. Maintenant, vous devez vous retirer. Ma femme de
chambre attend, sans aucun doute, que je la sonne pour fermer les persiennes. Partez
par où vous êtes venu, c’est le mieux.
— Puis-je espérer vous voir, la semaine prochaine, au
moulin, Marthe ?
— Je viendrai quand vous voudrez. Vous savez que je
vous appartiens, dit-elle dans un souffle.
Axel la prit dans ses bras, l’embrassa longuement avec tendresse
et, passant ses mains dans les boucles rousses, l’ébouriffa.
— Nous reprendrons tout depuis le commencement, je
voudrais que vous soyez, enfin, heureuse, Marthe, promit-il, joyeux.
Trop émue pour parler, elle lui rendit son baiser et le
poussa vers la porte-fenêtre. Quand Axel eut disparu dans l’ombre du jardin, Marthe
Bovey retourna s’asseoir devant le feu qui se mourait et se mit à pleurer
doucement. Celle qui tenait, depuis si longtemps, son amour dissimulé allait
peut-être le voir partagé. Elle savait déjà qu’elle serait comblée et
malheureuse.
Lors de son retour à Vevey, Axel Métaz, soucieux d’établir
avec Marthe Bovey une relation amoureuse plus sincère et plus complète, avait
réfléchi à la manière de prévenir les indiscrétions et de protéger la quiétude
du moulin sur la Vuachère. Ce havre qu’il aimait, différemment de sa maison des
vignes, avait-il, lui aussi, une mémoire ? Ce que Martin Chantenoz nommait
l’esprit des lieux, que seuls les êtres doués d’une sensibilité particulière
peuvent percevoir et identifier. Les mystérieux effluves des passions que le
moulin avait abritées, les serments à jamais inaudibles, échangés sous les
vieilles poutres, l’écho muré des geignements lascifs des amants, leurs rires
impudiques et les sanglots des ruptures, s’étaient-ils transmués, par la pure
alchimie du temps, en un fluide composite, fragrance irrespirable par qui ne s’abandonnait
pas, corps et âme, à l’amour.
« Pour avoir profané le temple en le réduisant à un
banal abri du seul plaisir charnel, peut-être me suis-je attiré la vengeance
des dieux », se dit Axel, dont l’atticisme hérité de son défunt mentor
restait donnée de référence.
Bien qu’il ne fût pas de ces Vaudois superstitieux, qui
croyaient aux servants capricieux, c’est, inconsciemment, pour conjurer le sort
qu’il désirait faire du moulin un asile raffiné où Marthe et lui se sentiraient
à l’aise, hors du monde. Aussi, dès son retour à Rive-Reine, inventa-t-il un
mensonge. Il informa Élise qu’il avait loué le moulin à un couple, se réservant
une chambre qu’il occuperait lors de ses séjours de plus en plus fréquents à
Lausanne, où l’appelaient de nouvelles affaires. Élise trouva bon que cette
maison, humide et isolée, fût occupée en permanence. Axel lui fut reconnaissant
d’une telle discrétion.
Le même soir, Louis Vuippens reparut à Rive-Reine, une heure
avant le repas. Axel le trouva pâle, les joues creuses et faisant effort pour
plaisanter avec Bertrand, le benjamin des Métaz. Le médecin accepta de partager
le repas de ses amis après avoir expliqué qu’il rentrait d’un voyage très
éprouvant, ayant été appelé en consultation en Suisse alémanique. Il opposa le
secret professionnel à Élise quand elle voulut savoir quel genre de malade et
de maladie il avait eu à soigner.
Le dessert expédié, Axel, trouvant un peu étrange le comportement
du médecin, l’entraîna sur la terrasse, où les deux amis avaient l’habitude de
se retirer, dès les premiers beaux jours, pour fumer et boire un verre de lie. En
l’absence d’Élise, accaparée par une réunion des dames patronnesses de l’Asile
pour jeunes filles, Vuippens devança toutes les curiosités d’Axel.
La première nuit de mai, claire et d’une douceur
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