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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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printanière,
se prêtait aux confidences. Un reflet frisant de la lune sur le lac reliait la
rive vaudoise à la côte savoyarde par un sillage lumineux, et la pénombre qui
baignait la terrasse de Rive-Reine enrobant les êtres et les choses, conférait
au décor familier une sérénité rassurante. Le crépitement cristallin de l’eau, dans
le bassin aux dauphins, donnait toute sa valeur au silence.
    Louis tapota, pour évacuer la cendre, le fourneau de sa pipe
éteinte sur le talon de sa bottine et précisa, d’emblée, que ce qu’il allait
révéler à Axel semblait relever de la pure fantasmagorie.
    — Il s’agit de la résolution d’un mystère que tu auras
du mal à croire. Si je parle, c’est avec l’assentiment de Zélia, qui m’a dit « souffrir
de dissimuler plus longtemps, au seul homme que sa maîtresse eût aimé, une
vérité douloureuse » : ce sont ses propres termes.
    Axel, intrigué par tant de précautions oratoires et
comprenant qu’il ne pouvait s’agir que d’une affaire relative à ses amours
passées avec sa demi-sœur, fronça le sourcil. En plein jour, le médecin eût vu
l’œil clair de son ami au regard vairon s’assombrir, signe de crainte ou de
courroux.
    — Parle, dit simplement Métaz en se carrant dans son
fauteuil, tel le passager d’une voiture qui se prépare à subir les cahots du chemin.
    — Eh bien, tout d’abord, je sais où allait Zélia quand
elle s’absentait plusieurs jours de chez les Laviron, ainsi que te l’ont dit
Alexandra et Anaïs.
    — Elle explique qu’elle va herboriser dans le Jura, ce
qui n’a rien d’étonnant quand on connaît cette étrange fille, intervint Axel.
    Vuippens hocha la tête :
    — C’est un mensonge et tiens-toi bien, mon vieux. Zélia
rendait visite à…
    — À Adriana, coupa vivement Axel en se penchant soudain
vers son ami.
    Les accoudoirs du fauteuil, violemment saisis, gémirent sous
la pression des mains puissantes du Vaudois.
    Ce fut au tour de Vuippens d’être interloqué.
    — Comment… tu sais qu’Adriana est vivante !
    — Savoir n’est pas le verbe qui convient, dit posément
Axel, dominant son trouble. Je ne le savais pas, non, mais quelque chose en moi
subodorait un mystère de ce genre, depuis les apparitions d’une femme voilée à
l’œil vairon lors du tir fédéral de 1836 à Lausanne, une nuit de décembre, à
Saint-Saphorin et, l’an dernier, près du moulin sur la Vuachère où je devais
rejoindre Marthe. Ma raison refusait d’admettre la survie cachée d’Adrienne
mais une bizarre et inexprimable intuition me persuadait que, chair ou fantôme,
elle hantait encore notre monde. Et, depuis, j’ai cru revoir cette femme dans
son cabriolet de laque noire, à Nyon et même, un jour, au petit matin, à Vevey.
Chaque fois, je t’ai fait part de ce que je croyais être une hallucination, un
subterfuge de la mémoire, une fourberie de la Némésis. Tu t’es donc bien moqué
de moi, quand tu m’as conseillé de lire l’ouvrage du doyen Bridel sur les
loups-garous et nos superstitions vaudoises… toi qui savais !
    — Non, Axel : je ne savais pas encore. Il a fallu
que Zélia me demande de l’accompagner, non dans le Jura, mais je ne sais où, peut-être
bien dans le Valais, pour que j’apprenne l’incroyable vérité.
    — Tu as vu Adriana ? jeta Axel, à nouveau excité.
    — Oui, mon pauvre ami, je l’ai vue. Zélia a voulu la
montrer à un médecin de plus. La science ne peut rien pour elle, hélas. Je ne
puis, comme les autres, que fournir des drogues et des onguents pour apaiser un
peu la souffrance de cette femme. C’est horrible !
    — Horrible ? Pourquoi ? Parle !
    — Un chancre lui mange le visage, Axel. Seul son regard
vairon demeure intact, pareil au tien. Crois-moi, j’ai vu, depuis que j’exerce,
des blessés et des malades de toute sorte, j’ai vu des mutilations hideuses, des
plaies repoussantes, des noyés gonflés comme des outres, des carriers de
Meillerie écrasés, comme poulet à la diable, sous des tonnes de rochers, je n’avais
jamais imaginé pareille ruine, pareille dissolution purulente d’un visage. Ravage
de la syphilis, mon ami. Tu comprends pourquoi cette femme, que tu as connue
belle et triomphante, ne veut plus se montrer à quiconque. Elle a fait briser
tous les miroirs de sa maison, vit voilée dans la pénombre, se terre
honteusement. Ah ! ne cherche jamais à la revoir, Axel. Tu deviendrais fou !
    Les deux hommes

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