Romandie
consultation
quand ils se trouvent devant un cas difficile, dit-elle, sans paraître attacher
d’importance à l’absence du praticien.
Axel connaissait assez sa mère pour percevoir tout ce que
leur entretien avait eu, jusque-là, de conventionnel. Cela préparait, retardait
peut-être, une confidence plus grave. Il pensa tout naturellement que M me de Fontsalte,
fanfaronne, hésitait à lui confier qu’elle se sentait plus mal qu’il ne
paraissait. Il tenta de provoquer l’aveu, la questionnant sur cette « petite
faiblesse », en vérité une nouvelle syncope, mais Charlotte l’arrêta :
— J’ai un souci, en effet, mais il ne vient pas de ma
santé. Elle est ce qu’elle est et je suis prête à la mort, notre lot commun. Non,
mon petit, ne sois pas inquiet pour ta mère. Mais j’ai quelque chose à te demander.
— Oui, mère, demandez !
— Eh bien, Axel, je t’en prie, je t’en conjure, ne fais
pas souffrir Marthe.
— Mais pourquoi me dites-vous cela ? fit-il, interloqué.
— Parce que je sais que Marthe Bovey est ta maîtresse
depuis des mois. Je ne juge personne, ni toi ni elle. Mais ce qu’elle vit
aujourd’hui, je l’ai vécu. Seulement, l’homme que j’attendais m’aimait et cela
s’est conclu par un merveilleux bonheur. Or, toi, tu n’aimes pas Marthe. Elle
le sait et l’accepte, je ne sais pourquoi ! Alors, je te dis, je te
demande, Axel, ne la fais pas souffrir, voilà. C’est tout !
— Non, ce n’est pas tout, mère. Comment avez-vous
appris nos relations ? demanda Axel, visiblement contrarié.
Charlotte but une demi-tasse de thé et se résolut à
satisfaire la curiosité de son fils.
— Il y a une semaine environ, je suis allée au moulin
sur la Vuachère. Je voulais voir si rien ne manquait, linge de toilette, savon,
vins, etc., puisque tu dis y dormir seul de temps en temps.
— Mais…
— J’ai conservé une clef du moulin, par prudence. La
Vuachère peut déborder. On nous en préviendrait, certes, mais si tu es à Vevey
ou à Genève, comment vite intervenir ? Bon, j’ai été tout à fait étonnée
de trouver la porte ouverte, de voir un cabriolet dans le hangar et un cheval
dans l’écurie. Plus étonnée encore de trouver Marthe Bovey en train de mettre
de l’ordre dans une maison qui, pardonne-moi, sentait la femme. Elle m’a dit
que tu venais de la quitter.
— Et c’est elle qui vous a révélé nos relations, en
conclut Axel.
— Que voulais-tu qu’elle fît ! Nous avons longtemps
parlé. Entre femmes, on se dit des choses que les hommes n’ont pas à entendre. Nous
avons aussi pleuré, pourquoi le cacher. Et je l’ai quittée en lui disant que je
te parlerais de notre rencontre mais en l’assurant que je n’en dirais mot à
quiconque, pas même à Blaise. Mais si Élise vient à apprendre cela, tu seras
fort gêné.
— Élise n’a jamais mis les pieds au moulin. Elle dit la
maison lugubre, insalubre à cause de la rivière, déclara Axel avec assurance.
— Elle déteste surtout le moulin parce que, depuis
tante Mathilde, il a abrité trop d’amours adultères – dont les miennes… –
et continue de le faire, semble-t-il ! lança Charlotte en riant.
Étant au fait de la situation conjugale de son fils, et n’ayant
jamais eu de réelle affection pour sa belle-fille protestante, M me de Fontsalte
admettait qu’Axel eût une maîtresse. Elle ne redoutait qu’un scandale, que les
bonnes âmes veveysannes ne manqueraient pas de rapprocher de celui causé par la
génération précédente. Elle entendait déjà la vieille Chatard proclamer :
« Les chiens font pas des chats ! » et l’épicière ajouter :
« Ces hommes au regard vairon sont des créatures du diable ! »
— Nous continuerons à être discrets… Et puis, si Élise l’apprend,
nous verrons bien ! J’ai des arguments pour la calmer, dit Axel avec
humeur.
Charlotte considéra un moment son fils, l’œil mi-clos, jaugeant
la sincérité de sa désinvolture.
— Le pire danger n’est peut-être pas Élise, mon garçon,
finit-elle pas articuler lentement.
— Quel autre danger voyez-vous ? Marthe n’a ni
mari, ni amant, ni frère !
— Mais toi, Axel, tu as une filleule ! Alexandra
est folle de toi. Elle n’avait pas dix ans que je le savais déjà. C’est, chez
elle, comme une maladie ! Si elle apprenait qu’Élise et toi vous ne pouvez
plus… enfin, tu comprends, et que tu as une maîtresse, Dieu sait ce
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