Romandie

loin, à l’exécution
de sa maîtresse. C’est lui qui me l’a rapportée, intervint Axel.
    — Lazlo n’a pas été mis dans le secret et les gens de
sa tribu l’ont, depuis, renié, rayé de la mémoire collective des Tsiganes. C’est
comme s’il était mort, parce qu’il s’est intégré à notre société, précisa
Vuippens. Quant à Adriana, elle ne pouvait être graciée. Mais au matin de la
pendaison, des sbires de la police secrète lui substituèrent une autre prisonnière
qui, sans doute droguée et inconsciente, fut conduite au gibet. Comme la loi
exige que les femmes condamnées à mort aient, en Angleterre, la tête couverte d’un
drap, personne ne soupçonna la substitution…
    — Et qui fut cette victime ? Sans doute cette inconnue
que nous avons déposée dans le caveau des Fontsalte ?
    — Pas une inconnue pour toi, Axel. Une certaine Miska, servante
d’Adrienne et amie intime de Zélia, fut pendue à la place de sa maîtresse, précisa
Vuippens.
    — Le procédé est assez laid mais ne me surprend guère, dit
Axel avec une moue de dégoût.
    — Vivre dans l’état où se trouve Adriana aujourd’hui n’est
pas vivre. Il eût mieux valu la laisser exécuter, Axel. Et puis, Miska eût été
déportée, comme Zélia, et Dieu sait ce qu’il fût advenu d’elle, dit Vuippens.
    — Zélia, qui aimait Miska comme une sœur, et peut-être
même un peu plus, doit en vouloir à sa maîtresse pour cet échange de vie à la
mode antique, observa Métaz.
    — Chez les Tsiganes, tu le sais, on ne doit jamais
prononcer le nom des morts, sinon ils se manifestent méchamment. Zélia ne parle
jamais de cette Miska. Tout ce qu’elle m’a dit c’est qu’elle-même a accepté de
reprendre du service auprès d’Adriana, pour accompagner sa princesse jusqu’au
tombeau. Ces femmes étranges ont ce genre de dévouement insensé. Au jour où
nous sommes, Adriana, Zélia et les autres doivent rouler vers Koriska. Tu ne
verras plus jamais, je crois, la femme voilée au regard vairon ni sa voiture noire.
Quant à Zélia, elle m’a promis de revenir pour ne plus me quitter « quand
les choses seront accomplies », comme elle dit.
    Ils observèrent un nouveau silence, comme pour prendre le
temps de revenir à la réalité d’une nuit rassurante, après cette incursion, par
la pensée et les mots, dans un univers ténébreux. Axel, le premier, parla.
    — Tu ne connais pas ces gens comme moi, Louis. Si
Adriana veut que Zélia la suive dans la mort, elle l’obtiendra. Au besoin par
la force, en la faisant immoler sur sa tombe. Rien n’a jamais retenu ma
demi-sœur, dénuée de scrupules, d’arriver à ses fins. Tu en as la preuve avec l’exécution
de Miska. Ce que nous considérons comme mœurs barbares est accepté chez les
Zigeuner. La vie d’une suivante est sans valeur, comparée à celle d’une
princesse, futur Bulebassa de sa tribu. Je ne suis pas certain qu’on ait eu
besoin de droguer Miska pour la conduire au supplice. Elle a peut-être bien
accepté de perdre sa misérable vie pour que fût épargnée celle, plus précieuse,
d’Adriana. C’est pourquoi rien ni personne ne pourra sauver Zélia, si Adriana
en décide autrement, Louis.
    — Si, Axel, deux choses peuvent la sauver : l’amour
sincère qu’elle me porte et… le poison que je lui ai donné, pour en finir avec
la sorcière si elle se sent menacée, dit Vuippens, brutal et résolu.
    Axel Métaz eut une moue dubitative.
    — S’il faut, j’irai la tirer moi-même de ce monde
infernal des Carpates Blanches que tu as visité avec Chantenoz, autrefois. D’ailleurs,
Zélia, à qui j’ai dit ma détermination, m’a donné un sauf-conduit pour entrer à
Koriska si nécessaire. Regarde, dit le médecin en mettant sous les yeux de son
ami un médaillon d’or, qu’Axel reconnut aussitôt.
    — Tiens ! Le cher saint Pertinent aurait-il encore
cours ? dit-il, ironique, en reconnaissant, gravé dans le métal précieux, le
macabre symbole des Zigeuner de Koriska : une tête de mort portant une
rose dans les dents.
    Déçu par l’incrédulité de son vieil ami, Louis Vuippens se
leva et quitta la terrasse avec un au revoir sec. Axel n’eut pas un geste pour
le retenir.
    Cette nuit-là, M. Métaz ne dormit pas. Trop de
questions le tinrent éveillé jusqu’à l’aube. Lazlo était-il au courant de l’existence
d’Adrienne ? Et Zélia, depuis combien de temps savait-elle ? N’avait-elle
pas été envoyée