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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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et que l’hospice du Grand-Saint-Bernard ne devienne inaccessible,
en voiture ou à cheval, jusqu’au printemps suivant, Blaise de Fontsalte montait
visiter le tombeau du général Desaix et remettre au prieur le produit d’une
collecte bonapartiste. Car les survivants de l’armée d’Italie se cotisaient, ponctuels
et généreux, pour manifester, au fil des ans, leur reconnaissance envers les
moines qui les avaient réconfortés lors du franchissement historique du col du
Grand-Saint-Bernard et qui, dans le silence glacé de leur refuge alpin, veillaient
sur les restes du héros tombé à Marengo, le 14 juin 1800. Bonaparte avait
dit, en apprenant par Savary la mort de Desaix : « Je veux qu’il ait
les Alpes pour piédestal et les moines du Saint-Bernard comme gardiens. »
Les anciens de l’Empire veillaient au respect de cette volonté.
    Cette année-là, Axel Métaz et Louis Vuippens décidèrent d’accompagner
Blaise. Ayant quitté Vevey à l’aube, à bord de la Charlotte, la vieille
barque des Métaz, ils gagnèrent Villeneuve par le lac. De là, dans une berline
de louage, ils remontèrent la plaine du Rhône puis, passé Aigle, Saint-Maurice
et Martigny, prirent la route sinueuse et rude du Grand-Saint-Bernard. En
passant à Liddes, ils apprirent par les villageois la présence, entre le mont
Rogneu et le Combin, de quelques hardes de petits rouges des sommets, chamois
qu’ils préféraient traquer entre tous. Ils se promirent de belles parties de
chasse avant les grands froids.
    Les voyageurs poussèrent jusqu’à Saint-Pierre, où ils
arrivèrent à la tombée de la nuit. Blaise de Fontsalte, pèlerin organisé, faisait
toujours étape à l’auberge où le Premier consul s’était restauré le 20 mai
1800. Depuis ce temps, les tenanciers exploitaient l’événement. Suspendue à une
potence de fer forgé, une enseigne de tôle peinte se balançait en grinçant, comme
pour mieux attirer l’attention des passants, et invitait Au déjeuner de Napoléon. D’après l’aubergiste, les touristes anglais étaient les plus nombreux et
les plus curieux du passé du génie que leur gouvernement avait exilé, jusqu’a
sa mort, à Sainte-Hélène. Ils se disputaient l’honneur de s’asseoir dans le fauteuil
à oreillettes qu’une servante de quinze ans affirmait être celui occupé, autrefois,
par le Premier consul. Serrés autour de la petite table sur laquelle, assurait
encore la paysanne, sa défunte mère avait servi le repas du futur empereur, les
visiteurs réclamaient le menu jadis préparé pour Bonaparte : des œufs
brouillés et du fromage. Allègres et recueillis mais ignorant que l’ogre corse
ne buvait alors que de l’eau, ils vidaient, conseillés par la servante, quelques
pichets d’yvorne d’un meilleur rapport pour l’aubergiste.
    — Hier encore, des Anglais, descendant de l’hospice du
Grand-Saint-Bernard, se sont mesurés à la marche, pendant sept heures et dans
une affreuse bourrasque, avec deux Français chargés, l’un et l’autre, d’un sac
à dos et d’un attirail de peintre, raconta le tenancier.
    — Messieurs les artistes voulaient venger la défaite de
Waterloo en prenant de vitesse les Anglais pour arriver ici avant eux et poser
sur le siège de Bonaparte des fesses françaises, ajouta sa femme en riant.
    Comme Fontsalte questionnait le tenancier sur ces peintres
patriotes, les deux hommes apparurent dans la salle commune. Ils avaient passé
la journée à prendre des croquis des vieux mazots de mélèze violacé par les
intempéries. Les présentations furent aisées et les Vaudois découvrirent ainsi
qu’ils se trouvaient en présence d’un des plus fameux paysagistes français, Théodore
Rousseau [43] et de son camarade Alcide Joseph Lorentz [44] , peintre
paysagiste et militaire, auteur notamment d’une toile représentant Napoléon I er passant une revue des troupes sur la place du Carrousel [45] .
    Si Lorentz paraissait encore ignoré de la critique, Théodore
Rousseau, vingt-deux ans, solide barbu au cou de taureau, plus réservé que son
ami, d’un an son cadet, faisait déjà figure de maître en romantisme. Le journal l’Artiste, que lisait régulièrement Vuippens, amateur d’art et modeste
collectionneur, avait publié sur lui un article flatteur. « Le peintre, et
c’est un immense mérite, se fait déjà reconnaître au premier coup d’œil, et
jamais on n’est tenté de le comparer à aucun des peintres renommés dans

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