Romandie
mes
compliments pour avoir choisi de marier une belle Vaudoise. Nous regrettons
cependant de n’avoir pas su la garder chez nous, dit Axel en fixant Marthe, la
petite paysanne de Chardonne, épouse agréablement parée d’un jeune notable
fribourgeois.
L’officier ayant été appelé à l’entrée du bal où un ivrogne
causait du scandale, Axel Métaz se trouva seul avec Marthe. Celle-ci profita du
tête-à-tête imprévu pour se plaindre des agissements de Samuel, son ancien
galant.
— Quand il a su que j’avais épousé le fils Andret, il
est venu bouëler [38] sous nos fenêtres, criant que j’avais été enlevée par un papiste mais que les
choses n’en resteraient pas là. Deux camarades de mon mari qui se trouvaient
chez nous auraient bien semotté ce bobet [39] si j’avais pas
été là. Ils se sont contentés de le gruler et de lui faire ouze [40] . Mais il a juré
ses grands dieux qu’il reviendrait, qu’il allumerait lui-même les flammes de l’enfer
pour me punir de m’être faite catholique. J’ai peur qu’il mette le feu à notre
maison, monsieur Métaz. Vous pouvez pas lui faire entendre raison ? Après
tout, nous n’avions fait de fiançailles que de bouche, entre nous. Et plus le
temps avançait et moins je supportais ses manières de paysan ! C’était pas
un garçon pour moi, ça non !
Axel se tut. L’ambitieuse Marthe avait été éblouie par la
fortune des Andret, notaires de père en fils depuis le XVII e siècle, et le jeune tabellion s’était
entiché de la belle Vaudoise. Marthe, évaluant le bon parti, n’avait pas hésité
à rompre avec Samuel, le vigneron qui la tenait pour sa promise depuis deux ans.
Axel, confident du répudié, savait à quoi s’en tenir.
— Comprends, Marthe, la déception de Samuel. Quoi que
tu dises maintenant, vous m’aviez annoncé vos fiançailles lors du ressat de la
vendange de 1833, quand tu as si bien chanté l’air du Devin du village.
— Mais on les a pas faites, monsieur, les fiançailles !
Et mes parents ont préféré me voir épouser Andret plutôt que Fornaz. Samuel c’est
un criseux [41] , dit ma mère. Mais
maintenant, je suis madame Andret, et ça, ni Samuel ni personne d’autre peut
pas aller contre !
La conversation fut interrompue par le retour du mari. Axel
n’eut que le temps de promettre à Marthe qu’il tenterait de raisonner Samuel.
Le lendemain matin, avant que le trio ne quitte Fribourg, Charlotte
tint à montrer à Blaise et à son fils, près de la maison de ville, le gros tilleul
légendaire que les Fribourgeois vénéraient comme une relique. Le vieil arbre, dont
quatre colonnes de pierre, dressées par Johann Paulus Nader en 1761, soutenaient
les branches basses, abritait un banc circulaire sur lequel les vieux venaient
s’asseoir pour deviser. D’après Charlotte qui tenait l’histoire de ses
grands-parents, cet arbre au tronc creux, de plus de quatre mètres de
circonférence, restait un symbole vivant du patriotisme helvétique.
— Au lendemain de la bataille du 22 juin 1476, qui
vit les Confédérés mettre en déroute l’armée de Charles le Téméraire, un jeune
combattant fribourgeois courut d’une traite, de Morat à Fribourg, pour annoncer
la bonne nouvelle. Le garçon n’eut que le temps de crier victoire avant de
tomber, ici même, mort d’épuisement. Les témoins plantèrent la branche de tilleul
que le garçon tenait en main et ce bel arbre, qui défie le temps, en sortit [42] .
— C’est l’histoire du coureur de Marathon, version
fribourgeoise, Dorette, observa le général en souriant.
— Mais il n’y a que cinq lieues de Morat à Fribourg. Le
Grec était donc meilleur athlète que le Fribourgeois puisque, près de cinq
cents ans avant Jésus-Christ, il parcourut double distance avant de mourir sur
le pavé d’Athènes en criant lui aussi victoire, compléta Axel, un tantinet ironique.
— Le Grec, lui, n’a pas laissé de tilleul, pff ! répliqua
Charlotte, agacée par l’incrédulité qu’elle percevait chez son mari et son fils.
Tous deux l’embrassèrent en riant et Blaise préleva trois
feuilles à l’arbre légendaire qu’il offrit en s’inclinant à sa femme. M me de Fontsalte
s’empressa de les glisser dans son missel : elles lui rappelleraient à
chaque messe les bons moments passés à Fribourg avec les deux hommes qu’elle
aimait le plus au monde.
Chaque automne, avant que les sommets du Valais ne se
coiffent de neige
Weitere Kostenlose Bücher