Romandie
dernières touffes roses d’androsace helvetica et des edelweiss
feutrés, arrière-garde pâlotte, rescapée des incendies de l’été, rappelaient au
voyageur de l’automne que la belle saison défunte avait fleuri la montagne. Des
chocards à bec jaune, corbeaux curieux que rien n’effarouche, accompagnaient la
caravane dans l’espoir d’un quignon de pain abandonné, tandis que leurs cousins,
les casse-noix mouchetés, désolés de ne plus trouver sur les pins cembro les
graines sucrées qu’ils fracassent sur le roc, se désolaient en croassant.
— Beau temps, dit Axel à son guide.
— Qui annonce les grands gels, répliqua le Valaisan.
— Nous dormirons à l’hospice et nous redescendrons
demain, lança Blaise, entendant la prévision.
Les voyageurs rencontrèrent, comme les guides s’y attendaient,
à une heure de marche de l’hospice, le marronnier dit « des Constitutions ».
Ce religieux, chargé par les Constitutions de la vénérable Congrégation de
descendre chaque jour, dès la première neige et jusqu’à Pâques, à la rencontre
des passants qui gravissaient le versant suisse, pour leur porter, suivant l’antique
formule, « le feu, le pain et le vin », était fidèle au poste. Le
moine apparut au seuil de l’hospitalet, refuge voûté construit en 1708, après
qu’une avalanche eut emporté l’ancien abri du XIII e siècle.
Près de ce havre, où les voyageurs se désaltérèrent en devisant, se trouvait
une morgue à demi enterrée. Depuis des siècles, les moines y alignaient les
victimes des avalanches que leurs chiens éventaient sous le linceul de neige.
— Nous sommes encore dans les bons jours mais l’hiver
peut nous tomber dessus en une nuit et la neige couvrir la combe des Morts en
rien de temps, constata le religieux en souhaitant bonne route aux voyageurs.
La dernière étape fut sans aléas et le groupe se présenta
devant l’escalier sous auvent de l’hospice. Blaise n’eut pas à faire tinter la
cloche des visiteurs. Le portier, occupé à balayer la poudreuse que le vent
avait poussée dans le corridor d’entrée, reconnut le général Fontsalte dont il
gardait en mémoire la générosité.
Reçu par le prieur claustral qui les confia au clavendier [48] , chargé de
nourrir et loger les hôtes de marque, Fontsalte voulut, avant de se rendre au
réfectoire, voir l’état du sarcophage de marbre blanc, sculpté par
Jean-Baptiste Moitte en 1805, à la demande de Napoléon. Depuis que les
religieux avaient subrepticement transféré, en 1829, le tombeau du général
Desaix au fond de l’église, près de l’escalier de la tribune, pour faire place,
dans la chapelle qui lui avait été jusque-là réservée, aux reliques d’une martyre
de petite réputation, sainte Faustine, offertes aux moines par le pape Léon XII,
le général pestait [49] . Il alla même, ce
jour-là, jusqu’à condamner la soumission exagérée du prévôt de l’ordre, en
résidence à Martigny, aux volontés des princes de la Sainte-Alliance.
— Ces tyrans, mesquins et bornés, détestent tout ce qui
rappelle épopée napoléonienne et nos heures de gloire ! Ils voudraient que
l’on dérobât aux regards des visiteurs le superbe mausolée du héros de Marengo [50] .
Mais Louis Desaix leur fera éternellement de l’ombre ! lança Fontsalte, véhément,
au clavendier.
Tête inclinée, regard au sol, mains enfoncées dans ses
manches de bure, aux lèvres le sourire doux et niais des martyrs d’ex-voto, le
religieux ne pouvait que se taire.
Après un repas dont la succulence rustique étonna Vuippens
et Axel, les trois hommes assistèrent à l’office de nuit, chanté par les claustraux.
Au moment de gagner les cellules réservées aux « hôtes
distingués » – les passants anonymes couchaient dans un dortoir
commun –, Fontsalte, se souvenant qu’en d’autres circonstances il avait en
ces lieux souffert du froid, s’étonna devant le prieur de la température
acceptable qui régnait dans la maison. Le religieux expliqua qu’on devait ce
confort aux généreux souscripteurs de plusieurs capitales d’Europe. Leurs dons
avaient permis à M. Mellerio, un homme à l’esprit inventif, de construire
une installation de chauffage appréciée. Un réseau de tuyaux de fonte distribuait,
dans les salles et les chambres, l’air chaud capté sur les foyers de la cuisine.
— Depuis que nous brûlons l’anthracite, dont nous avons
découvert un important
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