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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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gisement au col de Fenêtre [51] , ce charbon que
certains croyaient incombustible nous chauffe encore mieux, précisa un moine.
    Le lendemain matin, les Vaudois constatèrent avec plaisir
que le vent du nord n’avait pas apporté de neige et que le temps restait froid
mais beau. Tandis qu’ils descendaient vers Saint-Pierre, où ils retrouvèrent
leur berline de louage, les brumes se dissipèrent et la plaine du Rhône s’ouvrit,
bientôt, sous la lumière méridienne qui avivait les tons chauds d’un automne
rétif face au déclin promis par le calendrier. Au passage, le soleil illumina d’un
bref arc-en-ciel la buée, pudique comme un voile de mariée, de la cascade de
Pissevache, et le Léman apparut, plus tard, lisse et bleu, hospitalier comme la
demeure familière. À Villeneuve, les trois hommes embarquèrent sur la Charlotte, et Pierre Valeyres, le vieux bacouni, aidé d’Axel, dressa les voiles en
oreilles qui saisirent la brise à pleine toile. Ce retour à Vevey par le lac
teinta la fin du pèlerinage au Grand-Saint-Bernard de la douce mélancolie des
moments heureux finissants. Un milan noir, descendu en vol plané des rochers de
Naye, accompagna un moment la barque, puis reprit de la hauteur et disparut.
    — L’hiver le suit, dit le bacouni, désignant le rapace.

5
    Étrange nuit que celle du 12 au 13 décembre 1834, à
Vevey ! Malgré le froid cinglant, les fontaines prises par la glace, le
givre aux fenêtres, la bise noire et les croûtes déjà grises d’une petite crachée
de neige sans lendemain, le tonnerre gronda, impérieux et violent, vers dix
heures du soir. La sage-femme, une diplômée de l’école fondée par le professeur
Hedelhofer, à Lausanne, qui se tenait au chevet de M me  Métaz, déjà
torturée par les douleurs de l’enfantement, sursauta quand le fracas céleste
fit vibrer les vitres de Rive-Reine.
    — Voilà qui n’est pas courant ! Un orage en cette
saison, constata-t-elle calmement pour rassurer la parturiente, dont le regard,
à chaque déflagration, errait d’un angle à l’autre du plafond comme si la
foudre allait le percer.
    L’été avait été d’une chaleur soutenue jusqu’aux dernières semaines
d’octobre, vingt-cinq degrés en moyenne, et, à plusieurs reprises, la vendange
étant heureusement rentrée, des orages violents avaient empli d’échos
effrayants le cirque des montagnes. Le 2 décembre, le thermomètre marquait
encore sept degrés et il avait fallu attendre le 17 pour voir tomber trois
pouces de neige. L’orage tardif annonçait, de façon inattendue, un redoux
pluvieux et venteux.
    Sur un nouveau coup de tonnerre, Axel entra dans la chambre
et, sans commenter l’anomalie météorologique, s’enquit de l’état d’Élise en approchant
du lit.
    — Allons-nous enfin vers la délivrance ? demanda-t-il
à la sage-femme.
    Le ton tranquille déçut l’accoucheuse, habituée à la
naturelle nervosité des maris au seuil de la paternité.
    Élise, les yeux maintenant clos, les bras allongés le long
du corps, serrait le drap à s’en blanchir les phalanges et se mordait les
lèvres pour comprimer des gémissements qu’elle eût trouvés dégradants. Elle
avait prévu ce moment et tenait à mettre son enfant au monde le plus sobrement
possible, avec la dignité et la réserve d’une chrétienne, à qui on a, tôt, enseigné :
« Tu enfanteras dans la douleur. »
    — Je pense qu’il est temps de prévenir le docteur
Vuippens. C’est imminent. Et, avec cette pluie, il lui faudra bien un quart d’heure
pour venir de La Tour, dit la sage-femme.
    — Je l’envoie quérir, dit Axel en quittant la pièce
après une caresse au front d’Élise, qui ouvrit les yeux et lui sourit.
    M. Métaz avait toute confiance en la sage-femme
désignée par Vuippens et connue de sa mère, bienfaitrice de l’école des
sages-femmes vaudoises.
    Car les méthodes d’enseignement, fixées par le professeur
Hedelhofer dès 1803, avaient fait leurs preuves. Considérées comme
révolutionnaires au commencement du siècle, elles étaient devenues la règle et
même la loi.
    Depuis 1825 il fallait, pour prétendre à la profession de
sage-femme, être âgée de plus de vingt-cinq ans et de moins de trente. Un
examen sanctionnait la fin des études et ouvrait droit à une patente qui
permettait d’exercer dans le canton.
    Les sages-femmes se devaient « d’être propres, d’appliquer
sans relâche les règles élémentaires de

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