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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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fer », avait rencontré, à
New York, Albert Gallatin, maintenant âgé de soixante-quatorze ans. Le membre
de l’institut écrivait d’une plume indignée : « L’illustre M. Gallatin
qui, après avoir vieilli au service de la république, après avoir été pendant
quarante ans législateur, ministre au dedans, négociateur au dehors, après
avoir pris une part active à tout ce qui a été fait de bon et de sage par le
gouvernement fédéral, s’est un beau jour vu remercier purement et simplement et
eût terminé dans le dénuement sa laborieuse carrière, si des amis ne lui
eussent offert la place de président de l’une des banques de New York [63] . »
    Guillaume Métaz ajoutait qu’il s’agissait de la Banque
nationale de New York [64] et que M. Gallatin, non content de présider cet établissement, s’intéressait
de près au développement du Columbia College, dont il souhaitait faire une
université ouverte à tous les étudiants, sans distinction de classe sociale.
    Le Vaudois américanisé terminait sa lettre sur une note sentimentale.
« Je ne reverrai sans doute jamais notre Léman et nos vignobles de Lavaux
mais puis-je espérer qu’un jour tu me feras le plaisir de me visiter, seul ou
avec ta famille ? Les Baltimore Clippers traversent maintenant l’Atlantique
en moins de quarante-cinq jours et, depuis que le Savannah, voilier doté
d’une machine à vapeur, n’a mis que vingt-neuf jours [65] , les ingénieurs
américains s’activent fort pour construire des vapeurs transatlantiques, qui
porteront les passagers d’Amérique en Europe en moins de deux semaines [66] .
Avant de rendre mon âme à Dieu, qui m’a donné une seule grande peine et de
nombreux bonheurs, dont celui d’avoir fait de toi un homme, j’aimerais, mon
fils selon le cœur, te serrer une fois encore dans mes bras. »
    Ce message du vieil homme émut Axel, qui répondit aussitôt
qu’il ne manquerait pas de souscrire à ce désir quand le moment s’y prêterait.
    C’est au cours d’une soirée d’avril, la première de l’année
que l’on passait sur la terrasse de Rive-Reine, après une journée ensoleillée
qui avait réchauffé la terre et fait éclore les premiers narcisses, que l’on
vit arriver Louis Vuippens.
    — Je viens d’apprendre par un ami italien, dit-il en s’asseyant,
une bien triste nouvelle. Le peintre Léopold Robert, natif de La Chaux-de-Fonds [67] ,
dont vous avez vu chez moi deux belles gravures d’après ses toiles fameuses, Départ
pour la pêche et les Moissonneurs, s’est tranché la gorge avec son
couteau à peindre, le 20 mars, à Venise. Et cela, par dépit amoureux !
Il faut être fou, non ! Aucune femme ne mérite qu’on se tue pour elle, conclut
rageusement le médecin.
    — Oh ! vous n’êtes guère sentimental, mon pauvre
Louis, mais je condamne, comme vous, le suicide. Seul Dieu peut décider du
moment de notre mort. Décider soi-même du jour et de l’heure à sa place est un
sacrilège, dit Élise.
    — Qui était la cruelle beauté qui désespéra notre
illustre compatriote ? demanda Axel.
    — Charlotte, la nièce de Napoléon I er , mon
bon. La fille de Joseph, qui habita Prangins avant de filer en Amérique. Elle
avait épousé son cousin Napoléon Louis, le frère de Louis Napoléon, qui vit à
Arenenberg avec sa mère, la reine Hortense. Vous vous souvenez que ce Napoléon
Louis est mort en 31, à Forli, laissant Charlotte veuve, précisa Vuippens.
    — Et notre peintre s’éprit de la jolie veuve, dit Axel.
    — Avant même qu’elle ne devînt veuve. Il la rencontra à
Rome en 1829 mais, deux ans plus tard, dès qu’il sut qu’elle était libre, il se
précipita à Florence pour se déclarer. Mais la princesse Charlotte, très fière
de son lignage, ne voulait sans doute pas d’un rapin roturier et vous savez la
suite.
    — Est-elle jolie, au moins ? demanda Élise.
    — Même pas. D’après un Genevois, Édouard Odier, qui, visitant
Léopold Robert à Florence, tomba lui aussi amoureux de la princesse, Charlotte
est petite, malingre, nez pointu, libre penseuse, frondeuse et vaniteuse, comme
tous les Bonaparte. On lui reconnaît de beaux yeux noirs et l’esprit assez vif
et entier. Mais enfin, pas de quoi désespérer un grand artiste en pleine
maturité, conclut Vuippens.
    — La beauté n’est pas tout, Louis, et l’on voit souvent
des femmes laides inspirer de grandes passions, ajouta Élise.
    À cet instant, Martin

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