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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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contre la proue où il se brisa.
    Le contremaître et les compagnons du chantier, les amis des
Métaz et les badauds applaudirent la glissade de la longue coque fine dans le
Léman, qui accueillit le bateau sans le moindre clapot désapprobateur. Pierre
Valeyres, le vieux bacouni, dont ce navire était en grande partie l’œuvre, ne
fut pleinement rassuré qu’au moment où la voile latine fut hissée et qu’un petit
rebat précoce, venu de Savoie, dérida la toile, la tendit, la gonfla, manière
qu’ont les vents d’enjôler une nacelle.
    Louis Vuippens qualifia de gaspillage l’aspersion d’une
coque neuve au vin de Belle-Ombre. Chantenoz l’approuva et trouva outrecuidant
de sacrifier un tel nectar à Poséidon, suivant une tradition maritime qui n’avait
rien de lémanique. Le médecin et le professeur se consolèrent plus tard quand, à
Rive-Reine, Blaise de Fontsalte fit déboucher quelques flacons de meursault, rapportés
par Trévotte de son vignoble bourguignon.
    Tous les invités voulurent savoir l’origine du nom Ugo, peint
en lettres d’or à la poupe et à la proue du voilier.
    — En souvenir d’un ami vénitien qui aimait les belles
barques, dit simplement Axel pour satisfaire les curieux.
    — C’est pas un nom chrétien ! commenta la mère
Chatard qui s’était imposée en voisine, comme chaque fois qu’on donnait la
verrée à Rive-Reine.
     
    Le mois de mars apporta des États-Unis une longue lettre de
Guillaume Métaz. Ayant été informé depuis plusieurs semaines, par Axel, de la
naissance de Vincent, l’exilé, sans doute influencé par le vocabulaire
américain, le priait de transmettre ses congratulations à la jeune mère.
M. Métaz disait se réjouir qu’Axel connût la joie ineffable d’être un père
« n’ayant pas à douter de sa paternité du fait du regard particulier
transmis au nouveau-né ». Après cette allusion au drame passé, M. Métaz
annonçait à Axel que sa sœur Blandine attendait, enfin, l’enfant depuis longtemps
désiré. « Ce sera un bon produit américano-vaudois, comme mes deux filles
Johanna et Maguy, qui auront cette année dix et douze ans », précisait-il.
Afin de montrer l’étendue de sa réussite, il donnait ensuite maints détails sur
le développement et la prospérité de ses entreprises et révélait son élection à
la présidence de la Chambre de commerce, par les hommes d’affaires du
Massachusetts. On le pressait maintenant de se porter candidat au Sénat de l’État.
Mais il n’envisageait pas de se présenter devant les électeurs, considérant qu’à
soixante-trois ans ses propres affaires l’occupaient trop pour qu’il pût
accepter, en conscience, des responsabilités politiques.
    « Si j’en étais tenté, l’ingratitude des citoyens
américains envers les hommes qui se sont dévoués corps et âme au bien général
de l’Union m’en dissuaderait », commentait-il. Puis il citait, à l’appui
de cette assertion, le cas douloureux de son ami genevois Albert Gallatin, émigré
devenu citoyen américain en 1785, « dont la destinée exceptionnelle devrait
être citée en exemple aux jeunes Suisses ». Gallatin, rejeton aventureux d’une
grande famille genevoise – sa grand-mère était une amie de Voltaire –,
avait commencé modestement sa carrière comme bûcheron dans l’État du Maine, avant
de devenir, au fil des ans et des circonstances, agent immobilier, banquier, membre
de la Chambre des représentants de Pennsylvanie, puis secrétaire d’État au
Trésor de Thomas Jefferson et James Madison, enfin ministre à Paris, puis à
Londres. C’est Gallatin qui avait, très habilement, organisé le financement de
l’achat de l’immense Louisiane à la France en 1803, permettant ainsi aux États-Unis
de doubler leur superficie pour quinze millions de dollars [62] . Il fut en 1814
le plus important signataire du traité de Gand, qui mit fin à la guerre de 1812
entre les États-Unis et la Grande-Bretagne.
    « Eh bien, écrivait Guillaume, cet homme de bien, qui
me fut d’un salutaire concours quand je vins m’établir ici, risque de finir sa
vie dans la pauvreté. » Et, pour confirmer ses dires, Guillaume joignait à
sa lettre une coupure du Journal des débats, feuille française à laquelle
il était abonné.
    Le célèbre économiste Michel Chevalier, envoyé en mission
particulière aux États-Unis par M. Thiers, « pour y étudier le
système des communications par eaux et voie de

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