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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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admiratif,
si puissant que la foule des quais le perçut et lui fit écho. En toge
socratique, assis dans un fauteuil, le dos au lac [60] , pieds nus, un
livre sur le genou gauche, tenant une plume de la main droite levée, le regard
fixant le flot fuyant du Rhône, dans l’attitude du penseur en quête du mot
juste ou en mal d’inspiration : ainsi apparut Jean-Jacques Rousseau, tel
que Pradier le livrait à l’immortalité et à Genève repentante.
    Quand l’émotion fut retombée, M. Fazy-Pasteur, président
du comité de souscription, prit la parole. Après avoir déclaré : « La
dédicace du discours de Rousseau sur l’origine des inégalités est le plus beau
titre dont aucune république ait pu se glorifier », le député au Conseil
représentatif commenta prudemment : « Les opinions politiques et
philosophiques de Rousseau ont donné lieu à une grande diversité de jugements, sur
lesquels nous ne sommes point appelés ici à établir de controverse. »
    — Ne parlons pas de choses qui fâchent, souffla
Chantenoz, goguenard, tandis que l’orateur achevait son discours en assurant
aux souscripteurs de toutes classes que « l’offrande du citoyen pauvre eût
ému le cœur » de Jean-Jacques.
    La cérémonie terminée, on se rendit en cortège au restaurant
où le comité offrait un banquet au statuaire. Au cours du repas, on entendit
des couplets du poète Petit-Senn, qui exalta avec emphase la fonction
rassembleuse de Rousseau :
     
    Viens, digne
amant de la nature,
    Viens planer
sur notre cité.
    L’hypocrisie
et l’imposture
    Fuiront ton
aspect redouté.
    Si ta vie, hélas !
fut amère,
    Si l’exil
conduisit tes pas,
    En ce jour, Genève
ta mère,
    Pour t’accueillir
ouvre ses bras.
     
    Pendant ces agapes, les enfants des écoles, garçons et
filles, s’étaient rassemblés sur la promenade du pont en fil de fer des Pâquis
d’où ils partirent à trois heures de l’après-midi, pour se rendre, en cortège
derrière une musique, sur l’ancienne île aux Barques, devenue île Rousseau. Ainsi
que le constata plus tard Charlotte Métaz, les petits Genevois défilèrent, respectueux
et admiratifs, devant la statue de l’homme qui avait livré ses enfants à l’assistance
publique !
    La journée se termina par une fête populaire, à laquelle M. Laviron
conduisit ses invités y compris, cette fois, la petite Alexandra, qui applaudit
les feux d’artifice tirés de l’île et des bateaux à vapeur sous grand pavois et
girandoles.
    Le lendemain, avant de regagner Vevey, Axel eut un entretien
avec Pierre-Antoine au sujet d’Alexandra, qui paraissait s’accommoder parfaitement
de son installation rue des Granges. Parlant de l’avenir de la fillette,
M. Laviron émit l’hypothèse, n’ayant plus d’héritiers, qu’il pourrait, si
Alexandra s’habituait bien à sa nouvelle vie et si Axel n’y voyait pas d’inconvénient,
adopter un jour l’orpheline « et, plus tard, la bien marier ».
    Axel trouva la question prématurée mais se garda bien de
manifester la moindre opposition. Il remercia le généreux Pierre-Antoine.
    — Peut-être faut-il laisser un peu de temps s’écouler, dit-il
simplement.
    — Pas trop de temps tout de même, cher Axel, j’ai passé
la soixantaine, Anaïs la cinquantaine, et nous savons, vous et moi, que Dieu
nous retire de la vie quand bon lui semble !
    Au lendemain de cette journée, qu ’Europe centrale, journal
de James Fazy, qualifia d’historique en se félicitant de la réussite d’une fête
« entièrement conduite par les citoyens, sans aucune intervention ou
assistance de l’État », le cercle Fontsalte se dispersa. Blaise et
Charlotte, accompagnés de Claude et Flora, partaient pour Fontsalte-en-Forez, via
Lyon, par la diligence ; les Chantenoz rentraient à Lausanne et les Métaz,
à Vevey. Au moment de quitter son parrain, dans la cour de l’hôtel Laviron, Alexandra
domina son émotion et, avec un air enjoué qui ne trompa personne, gravit
lestement le perron de sa nouvelle demeure, entraînant Zélia déjà tout à son
rôle de gouvernante.
    Pendant le voyage de retour vers Lausanne et Vevey, à bord
du Winkelried, tandis qu’Élise et Aricie papotaient au salon, Axel s’étonna
de voir Martin Chantenoz, si frileux de nature, seul sur le pont, assis à l’abri
du vent. Le professeur, suivant un tic familier, indice de réflexion ou de
perplexité, polissait machinalement les verres de ses lunettes. Pensif,

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