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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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épaules d’Élise et tous deux
prirent le chemin de Rive-Reine, unis et heureux.
    Félicie Chatard qui, de sa fenêtre-observatoire les vit, au
crépuscule, passer la grille de leur maison, toujours enlacés, poussa un
profond soupir.
    — Pour sûr qu’ils s’aiment ces deux-là, dit-elle à sa
chatte, lovée près d’elle.
     
    C’est au nord-ouest de Lausanne, sur le domaine de Beaulieu,
que fut organisé le tir fédéral de 1836. Il fallait parcourir une longue avenue
ombragée de marronniers pour atteindre le portique décoré de verdure, porte du
camp où allaient se mesurer, pendant une semaine, les meilleurs fusils de la
Confédération. Les Vaudois attendaient cet événement avec ferveur, car pour la
première fois de son histoire leur canton avait l’honneur insigne d’accueillir
l’élite des tireurs helvètes.
    Un transparent frappé de la croix fédérale surmontait le
porche improvisé. On y lisait, en français et en allemand : « Entrée
des députations. »
    — Et les Suisses d’origine italienne, donc !… ils ne
comptent pas ! s’indigna Flora, l’épouse du général Ribeyre.
    — Les Romanches devraient pareillement protester, ma
chère, on les a oubliés, eux aussi, observa Martin Chantenoz.
    — Et cependant, les Grisons, qui sont de fameux tireurs
et parlent le romanche, seront certainement de la fête, compléta Axel Métaz.
    — Ces discriminations linguistiques en cacheraient-elles
d’autres ? N’oublions pas que c’est Druey, le radical, qui préside la
Société des carabiniers vaudois, organisatrice du tir, précisa avec humeur M me  Ribeyre
de Béran.
    Tout en commentant ces oublis, le groupe poursuivit sa route
vers le champ de fête.
    Des grenadiers assuraient l’accueil des délégations
cantonales et les orientaient vers les emplacements réservés. Restait aux
tireurs, cheminant derrière leur bannière déployée, à se frayer un chemin dans
la foule des curieux endimanchés. Car de nombreux Lausannois, venus là comme à
une fête dominicale et champêtre, arboraient leur meilleure toilette.
    Les hommes les plus élégants portaient des redingotes ou des
jaquettes légères, noires, bleu de roi ou puce, des pantalons étroits, gris, beige
ou à carreaux, parfois à sous-pieds, comme le voulait une mode récente, des
gilets décorés de broderies, des cravates neuves, simple ruban de velours noué
sous le col de la chemise, ou nœud de soie floche, gros papillon sur lequel
semblait reposer le menton. La chaleur avait incité la plupart des bourgeois à
troquer leur chapeau de castor à coiffe haute contre un de ces légers
couvre-chefs de paille qu’on nommait panama. Les femmes arboraient des jupes
colorées, souples, à rayures ou à plis, qui dégageaient la cheville, des
corsages de batiste aux larges emmanchures et généreusement décolletés, des
corsets lacés de velours ou de soie, qui mettaient en valeur les tailles fines
et comprimaient opportunément celles qui l’étaient moins ! Parmi les
visiteuses coiffées de capelines, ou plus modestement de bavolets, on reconnaissait
les épouses et filles des vignerons de Lavaux ou de la Côte à leur tsapé à buna,
chapeau à borne, et les paysannes des Ormonts à la grande galette de paille
fleurie qu’elles posaient de guingois sur leurs bouclettes, coiffure instable
mais qui les dispensait d’ouvrir une ombrelle comme les citadines soucieuses de
protéger la fraîcheur de leur teint.
    Sur un autel de gazon, élevé au centre d’un rond-point, le
groupe à jamais fameux, Tell père et fils, sculpté dans le bois, donnait d’emblée
le ton patriotique de la manifestation. L’invincible archer n’était-il pas, depuis
le XIV e  siècle, le
tutélaire champion de Mère Helvétie ?
    — Qui oserait, aujourd’hui, renouveler son geste ?
soupira Aride.
    — On attend près de deux mille tireurs. Ce serait bien
le diable si l’on ne trouvait pas, parmi ces gens, un père capable de risquer
la vie de son fils pour sauver, aujourd’hui encore, l’indépendance de la Suisse,
lança Flora, dont l’inaltérable patriotisme était souvent sujet de plaisanterie.
    — Croyez-vous qu’Axel tenterait de percer une pomme
posée sur la tête de Vincent ? demanda le général Ribeyre.
    — Je le lui interdirais bien ! s’écria Élise.
    Axel resta silencieux. Ce genre de questions l’agaçait.
    — Même si l’exploit de Tell n’est que pieuse légende, nous
devons reconnaître

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