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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l’équitation, un
troisième estimait qu’un mari était nécessaire à une femme qui aimait se lever
tard !
    Cet été-là, en plus de l’accession au trône d’Angleterre d’une
très jeune fille, autoritaire et dodue, un grand nombre de sujets de conversation
furent offerts aux Veveysans par des visiteurs étrangers. Les membres du Cercle
du Marché s’intéressèrent surtout à la présence, en ville, d’un écrivain russe,
M. Nicolas Gogol. La renommée de cet auteur n’avait pas encore atteint le
grand public mais les intellectuels, comme Chantenoz, connaissaient le recueil
de nouvelles qui l’avait, dès 1832, rendu célèbre, les Veillées à la ferme, tableaux
de la vie des Cosaques, et un roman plus récent, Tarass Boulba. On
murmurait que, très peiné par les critiques formulées contre sa pièce de
théâtre, le Contrôleur, créée à Saint-Pétersbourg le 19 avril 1836,
en présence du tsar Nicolas I er , qui avait applaudi, il s’était
brusquement résolu à l’exil. Après un séjour en Allemagne, il était arrivé à
Genève, où il avait rencontré les exilés ukrainiens amis de la princesse Sourov.
On l’avait vu gravir le Salève, danser, courtiser des filles de la campagne. Quittant
Genève, il s’était arrêté à Nyon, puis à Lausanne, avant de choisir Vevey, ville
élégante et paisible, pour y travailler à un nouveau livre. Bel homme, enjoué, il
était bien accueilli dans les tavernes, qu’il fréquentait sans façon, et dans
les auberges, où il faisait bonne chère. Chantenoz assurait que l’écrivain
appréciait surtout la courtoisie des Veveysans, serviables sans être importuns,
et respectueux de la tranquillité indispensable à ses travaux. M. Gogol
était aussi fantasque. Il partit un matin, comme il était venu [91] .
    Plus distrayant et moins sérieux fut le cas des Naündorff.
M. Charles Guillaume Naündorff, son épouse et les six enfants du couple
étaient hébergés par M. Jean-Baptiste Brémond, un royaliste français qui
avait fui la France après l’arrestation de Louis XVI, à Varennes. En 1796,
il avait acquis avec un associé, M. Terrier de Monciel, autre émigré rescapé
de la guillotine, les mines et la verrerie de Semsales, situées à Progens, sur
la route de Bulle à Vevey. Ayant rétabli sa fortune, M. Brémond avait loué,
à Rennaz, le château de Grand-Clos, propriété de la famille Guillard. Les
Naündorff habitaient les appartements occupés un temps par le poète lyrique
allemand Frédéric Mathisson et bénéficiaient d’un train princier : précepteur,
chapelain, domestiques et bel équipage. Les Veveysans comprirent les raisons de
ce luxe consenti quand la mère Chatard, toujours bien informée, répandit le
bruit que M. Naündorff n’était autre que Louis-Charles, duc de Normandie, fils
de Louis XVI. M. Brémond, qui disait avoir été le dernier secrétaire
intime du roi martyr et, de ce fait, croyait juste de faire précéder son nom d’une
particule, expliquait que le pauvre Dauphin n’était pas mort scrofuleux le 8 juin
1795, à la prison du Temple, comme tous les historiens l’écrivaient. Il avait
été miraculeusement sauvé et remplacé par un autre enfant malade, qui avait eu
la courtoisie de mourir à sa place !
    Les Vaudois, peu enclins à croire à cette substitution
romanesque qui avait déjà inspiré de nombreux imposteurs, ne cachaient pas leur
incrédulité. Certains riaient franchement, en se touchant le front de l’index, d’autres
pensaient à une farce d’étudiants, quelques-uns à une friponnerie, montée par
un aventurier. Tous, en revanche, trouvaient étrange que Louis XVII eût
attendu plus de quarante ans après son décès officiel, pour apparaître, dans le
canton de Vaud, sous l’identité d’emprunt d’un horloger prussien ! Ce
scepticisme peinait le châtelain de Grand-Clos et plus encore son hôte.
M. Brémond et son fils Antoine, dont l’épouse passait pour une excellente
pianiste, se disaient capables de garantir, sinon de prouver, la véritable
identité de M. Naündorff, et soutenaient l’action entreprise par ce
dernier pour faire valoir ses droits au trône de France. Et d’ailleurs,
M. Naündorff n’avait-il pas été formellement cautionné par d’anciens
serviteurs de Marie-Antoinette, retrouvés à Paris, Rome et Prague ? La
dernière fois que ces gentils vieillards avaient aperçu le Dauphin, ce dernier
devait être âgé de moins de dix ans, mais

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