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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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quotidiennes, aux responsabilités
familiales, jalonnée de joies et de soucis, comme toute destinée humaine. Cette
fallacieuse monotonie serait tempérée par les mêmes récréations rustiques qui
distrayaient ses ancêtres et, parfois, rompue par un séjour à Genève ou un
voyage à l’étranger. Axel, lucide et serein, voyait ainsi, quand il y
réfléchissait, se dérouler son existence de bourgeois veveysan. Il se
persuadait que les surprises, bonnes ou mauvaises, ne pourraient plus venir que
des autres ou des événements. Il saurait faire face avec dignité aux circonstances,
même à la maladie et à la mort d’êtres chers. L’épreuve vécue par Élise l’y
avait préparé. Il s’efforcerait de ne jamais faire mentir le sang des Fontsalte,
allié à celui des Rudmeyer. Entrait dans cette attitude une bonne dose de
sagesse, un peu d’orgueil et, sans qu’Axel osât encore l’avouer, beaucoup de
résignation.
    Naviguer pleine toile sur le Léman, à bord du yacht Ugo, avec
les Valeyres, grand-père et petit-fils, chasser le chamois dans le Valais, ou
le gibier à plume dans la Gruyère, lire au coin du feu, puis fermer le livre
quand Élise se mettait au piano, comme autrefois, quand elle n’était que l’institutrice
d’Alexandra ; d’autres soirs, deviser avec Vuippens, le médecin, et Chavan,
le notaire, venus en voisins pour commenter les nouvelles du jour : telle
était l’espèce de bonheur, un peu mièvre, certes, mais établie et acceptée, dont
on devait se satisfaire.
    Les soirs d’hiver, Axel débouchait, entre hommes, une
bouteille du vin doré de Belle-Ombre, on se passait le pot à tabac, puis on
allumait les pipes avec une branchette de tilleul écorcée, dont une petite
gerbe, taillée par Lazlo, emplissait un vase, près du foyer. Quand les volutes
bleues montaient, brume odoriférante, devant les paysages de Calame et de Meyer
suspendus aux murs du salon, la conversation prenait son essor. Parfois, les
Chantenoz, propriétaires, depuis que le professeur jouissait de sa retraite, d’une
petite maison sur le port de La Tour-de-Peilz, apparaissaient sans s’être annoncés.
Aricie rejoignait Élise et Marthe Chavan dans la pièce que M me  Métaz
nommait boudoir. Dans ce petit salon, lieu clos, douillet, propice aux papotages,
dont Axel ne franchissait que rarement le seuil, l’épouse d’Axel rédigeait son
courrier sur un bonheur-du-jour en bois de rose, faisait de la tapisserie en
balançant, du bout du pied, la bercelonnette où somnolait Bertrand, tandis que
Vincent, à plat ventre sur le tapis, élevait des pyramides de cubes, qu’il
abattait en riant très fort.
    Souvent, devant son chevalet dressé face au lac, Élise peignait
de petites aquarelles, qu’elle envoyait à ses amies de pension dispersées dans
dix cantons. Elle entretenait avec ses condisciples une correspondance où se
mêlaient réflexions métaphysiques, observations sociales et politiques, potins
mondains, considérations domestiques, mots d’enfants et recettes de cuisine.
    Dès les premiers beaux jours, c’est sur la terrasse, face au
Léman, que se tenaient les réunions d’après souper. On devisait alors jusqu’à
ce que les montagnes de Savoie se réduisent, dans le crépuscule lacustre, à un
sombre découpage chantourné, plaqué sur le ciel d’un ton plus clair. Quand les
amis s’en allaient, les Métaz se souhaitaient mutuellement la bonne nuit, échangeaient
un baiser comme frère et sœur, puis chacun gagnait sa couche solitaire.
    Élise n’avait jamais été une amoureuse ardente. La rigueur
de l’éducation calviniste lui avait conféré, depuis l’adolescence, la maîtrise
d’une sensualité garrottée, qu’Axel avait mis des nuits à libérer. Avant son
mariage, l’expression « devoir conjugal » contenait pour la fille du
pasteur Delariaz une sorte de menace, l’obligation triviale, avec la bénédiction
du Seigneur et l’agrément de la loi, de céder son corps à un être concupiscent
nommé mari. L’attirance spontanée qu’elle avait ressentie pour Axel, la
patiente et tendre délicatesse que celui-ci mettait dans l’accomplissement de l’acte
redouté, l’avaient conduite, peu à peu, à prendre plaisir avec bonne conscience
à cette servitude du mariage. Il lui était arrivé, néanmoins, de se sentir
honteuse quand, sous l’étreinte de son mari, l’intensité d’une jouissance physique
irrépressible lui arrachait une plainte délicieuse,

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