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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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roman Volupté, publié en
1834. Ils contestaient maintenant son talent de poète, ses compétences de critique,
la rigueur de sa pensée. Mais la vraie raison, moins facilement avouable, que
Chantenoz apprit plus tard, tenait à une passion amoureuse coupable, condamnée
par les salons parisiens. Sainte-Beuve avait trahi l’amitié de Victor Hugo en
courtisant sa femme. Martin, qui ne partageait pas l’admiration de certains
pour Hugo, trouva cela « plutôt réjouissant ».
    Sainte-Beuve ayant évoqué, devant les Olivier, un travail qu’il
voulait entreprendre sur Port-Royal, à la suggestion de La Mennais, l’auteur
vaudois lui avait proposé de donner un cours sur ce sujet, qui ne pourrait
manquer d’intéresser les étudiants dans une période où le mouvement du Réveil
suscitait encore tant de controverses théologiques et troublait bon nombre de
consciences chrétiennes.
    Tandis que Chantenoz se disait prêt à appuyer l’initiative d’Olivier,
Charlotte Métaz de Fontsalte apprit, dans un salon catholique, que la belle M me  Olivier,
évangéliste militante et poète, s’était donné pour mission, avec quelques amies,
d’amener celui que certains pasteurs qualifiaient d’athée, à la religion
réformée. Ces bonnes âmes comptaient sur l’appui évangélique d’un théologien
déjà fameux, le professeur Alexandre Vinet. Ce pasteur érudit, né à Ouchy, qui
enseignait la littérature française au gymnase de Bâle depuis 1817, auteur d’un Mémoire sur la liberté des cultes et d’une Chrestomathie française qui avaient révélé à l’Europe un grand penseur protestant et un écrivain
sensible, venait d’accepter, après une longue et scrupuleuse hésitation, la chaire
de théologie pratique et pastorale à l’Académie de Lausanne. Chargé d’initier
les proposants [93] à l’éloquence sacrée, peut-être serait-il capable de convertir au protestantisme
M. Sainte-Beuve que l’on disait catholisant !
    Après l’épisode champêtre chez les Olivier, le critique
avait regagné Paris tandis que Juste, assisté de son beau-frère, Louis Ruchet, et
d’érudits, comme Chantenoz, entreprenait de convaincre l’Académie d’adresser
une invitation officielle à l’écrivain français. Les lettrés vaudois connaissaient
surtout Sainte-Beuve par ses articles de la Revue de Paris. Quelques-uns
avaient lu Vie, poésie et pensée de Joseph Delorme, les Consolations ou Volupté, mais la plupart ignoraient son œuvre de romancier et de poète.
    Le Conseil de l’instruction publique vaudoise, organisme
dont les membres étaient élus, ne manifesta nul enthousiasme pour inviter
Sainte-Beuve. Les Lausannois trouvaient déjà que l’Académie coûtait trop cher
aux contribuables et la venue d’un conférencier entraînerait une dépense supplémentaire.
Les zélateurs de Sainte-Beuve ne furent pas dupes de ces réticences budgétaires
qui dissimulaient une défiance politique. Les radicaux exerçaient, en effet, une
influence certaine au Conseil de l’instruction publique dont ils comptaient faire
un tremplin pour accéder au pouvoir. Or, Juste Olivier et ses amis, Alexandre
Vinet, Charles Secretan, philosophe, fondateur de la Revue suisse, Charles
Monnard, professeur de littérature française, chef de file du parti libéral, qui
cautionnaient l’écrivain français, étaient leurs adversaires politiques. Distants,
de mœurs aristocratiques, étrangers aux préoccupations de la population rurale,
majoritaire dans le canton, ces intellectuels passaient pour traditionnellement
conservateurs, les libéraux les plus avancés n’étant, aux yeux des radicaux, que
de timides réformateurs.
    Cependant, le chef radical Henri Druey, membre du Conseil d’État,
qui avait présidé la commission de réorganisation de l’instruction publique et
principal artisan de la loi de sécularisation de Académie, jusque-là dominée et
régentée par la faculté de théologie, ne s’opposait pas à la venue de
Sainte-Beuve. Il encouragea, au contraire, les promoteurs du projet, considérant
que la réputation de l’Académie ne pouvait que croître en accueillant des
conférenciers d’un tel niveau.
    — Et cependant, les radicaux vont répétant que le sujet
proposé par Sainte-Beuve « sent furieusement le méthodisme », c’est-à-dire
un avatar du Réveil, dit un soir Chantenoz.
    — Mais ils céderont, cher ami, afin de ne pas passer
pour sectaires et renier leurs principes. Faites

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