Sachso
qu’évidente – ne vient-il pas d’en administrer la preuve ? »
Le 15 août 1943 commence mal pour Roger Guédon et ses camarades de Heinkel : « Sur la route de la place d’appel, nous pensons qu’en ce jour de fête il fait peut-être beau en France, car ici le temps est gris, avec un vent du nord glacial qui soulève des nuages de sable, un vent de mauvais présage.
« Sur la place, l’appel dure plus que de coutume, les coups tombent, les S. S. s’énervent. Au fil des heures, nous apprenons que nous restons là par représailles, car il manque un homme. Il devient de plus en plus difficile de rester figé au garde-à-vous. Nous nous resserrons pour éviter les morsures du sable et du froid. Des dizaines s’écroulent, à bout de forces.
« À 23 heures, l’évadé est repris et succombe sous la schlague. »
À quelques minutes près, Louis Morel échappe à un sort identique : « Le matin, je rentre du Revier à mon block avec plusieurs jours de Schonung. Le Stubendienst polonais me dit de me recoucher et je m’endors profondément. Je ne sais ce qui me réveille – le silence peut-être ? Toujours est-il qu’en ouvrant les yeux je m’aperçois qu’il n’y a plus personne dans le baraquement fermé à clé : c’est l’heure de l’appel du soir. Je saute par une fenêtre et réussis à rejoindre mes camarades juste sur la place. Je respire, car j’ai conscience d’avoir échappé de peu au danger d’être recherché et accusé de tentative d’évasion. Mais mon chef de block me voit et, au retour, en punition, je dois monter sur un tabouret, accroupi sur la pointe des pieds, mains tendues en avant, jusqu’à ce que tout le monde finisse son frugal repas. »
De février à octobre 1943, le régime des « verts » pèse lourd sur la vie à Heinkel. C’est alors que les « rouges », les détenus politiques allemands, repassent à l’offensive. Ils accusent les « verts » de provoquer par leurs vols et leurs brutalités un désordre nuisible à la production Heinkel. Ce qui est vrai, car les équipes sont continuellement décimées, modifiées, mais cela ne manque pas d’audace de la part des antifascistes allemands, parfaitement au courant du sabotage et qui y participent à leur façon. Heinkel lui-même vient se rendre compte sur place.
Fernand Chatel le voit traverser le hall 7, discutant ferme avec son état-major : « C’est un homme de forte corpulence et mon regard s’accroche à sa nuque. Elle est couturée de cicatrices laissées par des furoncles… et c’est un peu de baume pour l’anthrax qui me tenaille le cou. »
Est-ce l’avis d’Ernst Heinkel qui l’emporte, celui du payeur exigeant d’être mieux servi ? C’est un fait qu’un tournant s’opère et Julien Lajournade note les changements qui interviennent : « Tous les Français se rappellent sans doute ce dimanche d’octobre 1943 où nous sommes rassemblés sur la place d’appel pour une réorganisation de l’administration intérieure du camp.
« De nombreuses mesures sont prises ce jour-là, entre autres le regroupement des prisonniers de droit commun dans un “block des verts”, ce qui cantonne leur influence aux lieux de travail et permet un peu plus de tranquillité dans les blocks.
« Une autre mesure spectaculaire est la création du “block des jeunes”. Tous les détenus de moins de seize ans, environ deux cent cinquante, essentiellement Russes et Polonais, sont regroupés face au hall 8. Je suis le seul jeune Français à en faire partie jusqu’à l’évacuation d’avril 1945.
« Le chef de ce block est un vieux “politique” allemand, Kowalski, connu pour son esprit de justice. Nous obtenons divers avantages : fin du travail avancée à 16 h 30 ; deuxième tenue propre, qui permet de se changer en rentrant des halls. Jusqu’à l’appel du soir, nous sommes consignés, mais le réfectoire se transforme en salle de classe. Le chef de block, parlant le russe, donne des conférences pendant lesquelles, avec sa complicité, je me retire au dortoir pour copier le bulletin quotidien d’information que me confie Bergeron et qui circule le soir dans d’autres collectivités.
« Je suis certain que, grâce à ce block, une majorité des jeunes a été moralement sauvée et cet exemple justifie pleinement à mes yeux les risques pris par les détenus politiques allemands en participant à l’administration du camp. » Les assemblées de
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