Sachso
déroule en moi. J’ai un marteau dans la main droite et je peux d’un simple moulinet écraser cet avorton, ce voyou hystérique et pédéraste. Mais, après ? Heureusement pour moi, je me domine au prix d’un grand effort. »
La faim, dit-on, fait sortir le loup du bois. À Heinkel, il y a de bons et de mauvais loups. Un bon loup, c’est par exemple Corentin Le Berre au hall 2 : « À quelques mètres de l’entrée du hall, j’aperçois, un matin de grande faim, des détenus du Baukommando qui chargent des choux dans un camion. Il me faut un chou… j’aurai un chou ! Un convoi de chariots plats et vides défile entre le camion et moi, m’offrant un tremplin providentiel. Je prends mon élan, rebondis sur une plate-forme, m’agrippe à la ridelle du camion, attrape un chou et, comme un rugbyman, je le ramène sous mon bras, à toute vitesse. Sans encombre, je rejoins ma place à l’atelier. Je fais dix-sept parts du chou. Seize camarades et moi-même avons l’illusion pendant quelques instants d’avoir l’estomac satisfait. »
Les mauvais loups sont les S. S. et leurs créatures qui se distinguent dans le pillage des colis de France. Les Blockführer présidant à la distribution des paquets se servent sans vergogne devant le destinataire qui doit défaire tous les emballages. Le S. S. du hall 3, plus sadique, feint de solliciter le consentement de sa victime : « Für mich ? » (pour moi ?) ou Halbe-Halbe ? » (moitié-moitié ?), demande-t-il en montrant ce qui lui plaît. Mais, pour ces colis remis, combien d’autres sont confisqués sans que nous le sachions ?
Guy Armentier, de Royan, est convoqué un jour chez le commandant S. S., qu’il ne voit que le lendemain, après une nuit passée dans une prison hors du kommando : « Le commandant est assis à une table, entouré de deux autres S. S., un véritable tribunal. On m’apprend que ma femme m’a envoyé un colis (qui ne m’a jamais été remis) contenant une photographie dédicacée de mon enfant. Le commandant me présente cette photo : « Est-ce bien votre enfant ? »
— « Oui. » – « Vous savez pourtant qu’il est rigoureusement interdit de se faire adresser des photos et des lettres dans les colis ! »
« Ce rappel à l’ordre ne me rassure pas. Eh bien, j’ai tort. Contre toute attente, le commandant fait apposer deux cachets sur la photo et m’autorise à la porter sur moi.
« Plus tard, à chaque fouille, quand des S. S. ou des Vorarbeiter la découvrent, c’est le même scénario : ils commencent par vouloir la confisquer et me passer à tabac puis s’abstiennent au vu des fameux cachets. »
L’étau qui nous écrase, desserré quelque temps par l’administration « rouge », se resserre malheureusement après le bombardement de l’usine en avril 1944, le débarquement allié de juin en Normandie et le début de la libération de la France. Les « verts » reprennent les postes essentiels. La mortalité regrimpe en flèche. Les rations diminuent, les soins aussi. Au cours de l’été, pour calmer la douleur de ses poumons malades, Simon Drucar n’a qu’une ressource : s’adosser, durant la pause de midi, à la grande porte métallique de son hall, surchauffée par le soleil.
La fabrication du bombardier He-177 doit être abandonnée. Des essais de construction de chasseurs se révèlent infructueux. C’est l’époque de mutations massives entre Heinkel et d’autres camps, le commencement de l’agonie de la bête nazie qui fait tant de victimes au cours de l’hiver 1944-1945. Des évacués de la forteresse de Sonnenburg sont intégrés au kommando et Max Poulleau, de Saône-et-Loire, n° 58 905, retrouve ainsi un pays, Jean Monin avec le matricule 117 277 : « Il a un calot en toile cirée comme ses camarades de transport encore en quarantaine avec André Présent, n° 117 278, dans un block consigné. Je lui emprunte son béret un moment. Ainsi coiffé, je peux entrer dans la baraque interdite et j’ai la joie de serrer la main de camarades de chez moi : Léon Guerrin, Louis Landau, Maurice Mahieu, Maurice Viard, Rémi Perrier, le curé de Marmagne, Jean Chanliau et Louis Burgard. C’était un rayon de soleil pour eux et moi. » Sur quelque base que ce soit, les Français de Heinkel s’efforcent de maintenir leur cohésion et c’est en groupes unis qu’ils prennent la route de l’évacuation le 21 avril 1945, rejoignant vite les longues
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