Sachso
cri : « Nachschlag ! » (Au rab !). Quand le chef de block et ses adjoints le hurlent après avoir chichement versé les rations, René Meyer s’écarte : « Invariablement, les brutes foncent sur les malheureux qui s’avancent, gamelle à la main. Ils frappent à tour de bras avec leurs louches de fer et rient d’humilier des affamés. » Aussi une des réactions immédiates des Français est-elle de mettre fin à cette cruelle comédie en refusant d’abord de s’y prêter, en entraînant ensuite les autres déportés à les imiter. Cela ne va pas sans mal, mais se réalise peu à peu.
Au block 6, où sont beaucoup de Français et de Soviétiques, la consigne est un jour totalement suivie, à la satisfaction d’André Augeray : « Les appels au Nachschlag retentissent à grand renfort de coups de louche sur les marmites. Personne ne se lève. Les bandits, interloqués, crient de plus en plus fort. Personne ne bouge. Les bandits s’étranglent de fureur : le jeu ne prend plus, il y a maldonne.
« À la soupe suivante, même consigne, même discipline acceptée. Les distributeurs, en rage, se mettent à taper. Ils sautent sur les tables, essaient de nous forcer à nous lever pour aller vers les bouteillons. Rien n’y fait. Les coups de louche tombent, tombent sur les pauvres crânes, mais ceux qui les reçoivent ont du moins conscience de tenir les brutes en échec et cela fait supporter le mal. »
Jacques Lefaure, à défaut de soupe, savoure la victoire commune : « Chef de block, Vorarbeiter, gamelleurs, sont médusés. C’est la fin du rabiot. »
Au block 5, Marcel Stiquel et ses camarades sont également décidés à ne pas laisser les affameurs imposer leur loi : « Un midi, nous refusons la distribution de soupe si elle n’est pas effectuée dans l’ordre. Les interprètes s’évertuent à nous faire comprendre que cette position est dangereuse. Mais nous restons fermes et avons finalement gain de cause, la soupe est distribuée comme nous le voulons. »
Les « verts » se rattrapent en aggravant les brimades dans les secteurs de la vie du camp où ils savent bénéficier à coup sûr de l’appui des S. S. et de la direction Heinkel. Au nom de la sacro-sainte « hygiène », ils transforment les rares instants de pause en corvées de nettoyage, lavage, astiquage des blocks ; ils écourtent les nuits de sommeil avec des séances épuisantes de désinfection.
En février 1943, Marcel Suillerot n’est que depuis cinq jours à Heinkel, au hall 3, et tous ceux de son block sont déjà couverts de poux : « À 20 heures, on nous jette dehors, tout nus, avec juste nos galoches. Il fait -14°. Nous devons attendre sans bouger qu’une équipe désinfecte l’intérieur du block et les châlits sur lesquels nous avons laissé nos vêtements.
« Pour mieux résister au froid, nous nous serrons les uns contre les autres. Ceux qui sont sur les bords sont défavorisés et exposés à la bise glaciale, mais, par une entente tacite, nous occupons cette place à tour de rôle. Quelques-uns, s’écartant du groupe pour aller aux nouvelles, reçoivent des seaux d’eau. Beaucoup de camarades s’écroulent.
« À 4 heures du matin, les gardiens nous lancent des haillons en vrac qu’il faut enfiler rapidement sans considération de taille. Puis nous sommes entassés sur de maigres paillasses étendues dans le réfectoire. Les coups pleuvent jusqu’à ce qu’il n’y ait absolument plus aucun vide entre les corps allongés. Une heure après, nous nous retrouvons dehors pour l’appel et une autre journée de travail.
« C’est seulement le soir que nous récupérons, non sans peine, nos vêtements et reprenons possession du dortoir et de nos châlits. Mais deux jours après nous sommes à nouveau couverts de poux. »
En général, les séances de désinfection corporelle et vestimentaire se passent la nuit au baraquement qui abrite les douches et l’étuve. Elles sont attendues et redoutées à la fois. L’étendue du camp oblige à de longs trajets, qui sont autant de courses apocalyptiques où se déchaîne la bestialité des gardes-chiourme, et les opérations de rasage des poils du pubis, du badigeonnage, sont souvent l’occasion de plaisanteries cruelles des tortionnaires.
Un soit, Louis Chaput est le second de la file dénudée qui attend la séance de tonte et de rasage : « Le premier est un camarade de Colombes. Le chef de la désinfection, un
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