Sachso
qui vous fait ressembler à une statue… quand vous en sortez ! Car, si vous tombez, le surveillant vous achève à coups de planche… »
Dans cette kolonne de la briqueterie, le moindre prétexte est d’autre part utilisé par les S. S. pour supprimer le repos du dimanche au block et le remplacer par une corvée supplémentaire de déchargement de péniches de charbon. Un dimanche matin, Jean Pucheu et un jeune Parisien de Montmartre, André Poirriault, sont parmi les punis et s’affairent à simuler le maniement de la pelle, cachés entre les tas de charbon, le plus loin possible du regard des Vorarbeiter. Soudain, André Poirriault remarque près du canal une canne à pêche abandonnée… La pêche, sa passion. Il ramasse la canne, s’avance vers l’eau mais, tout à coup, des vociférations, un bruit de galopade : Poirriault détale à toutes jambes, poursuivi par le vieil adjudant S. S. Bleskin, Blockführer du block 8, très porté sur le schnaps. Déjà éméché, Bleskin titube, s’affale à plusieurs reprises. Ce dont profite Poirriault pour rejoindre le petit groupe de Français, s’y mêler comme si de rien n’était, et reprendre sa pelle avec un air innocent, cachant le rire intérieur.
Un autre dimanche, l’état euphorique de Bleskin, entretenu par les bouteilles de schnaps du chef de block 8, un nommé Willy, bandit de droit commun brutal et méchant, sauve encore du pire un détenu, ancien maquisard italien. Ce dernier, entrant précipitamment dans le block, bouscule Bleskin alors qu’entre deux libations il fume sa pipe à la porte. Une poursuite zigzagante s’engage à l’intérieur du block, entre les châlits. Finalement, ce sont les protégés de Willy qui s’emparent de l’italien et l’amènent à Bleskin. Le S. S. fait mettre le block en rangs et tient tout essoufflé un discours volubile où le mot « Schwein » (cochon) revient constamment. À la fin de sa harangue, il prend sa victime à la gorge et lui décoche un violent coup de poing en pleine face. Sur ce, il tourne les talons et s’en va d’un air qu’il veut très digne, pendant que l’on traduit ses derniers mots à l’italien, qui ne peut s’empêcher de sourire en entendant : « Cochon, tu m’as fait avaler mon tuyau de pipe. »
Des équipes de Klinker qui vont travailler sur le chantier voisin de Speer ne sont pas favorisées non plus. Durant l’hiver 1943-44, Pierre Gaspais en fait l’expérience chaque matin : « Dès la porte de Klinker franchie, nous sommes immobilisés, toujours en formation par cinq, quelquefois pendant une heure ou plus. Interdiction de bouger et de parler, sinon les coups pleuvent. Mais, activées par le froid et l’espèce de breuvage sans goût que nous avons bu avant l’appel, nos vessies, elles, continuent à fonctionner. Si bien qu’un passant aurait pu assister au spectacle burlesque d’hommes se déboutonnant les uns après les autres et se pissant mutuellement sur les talons, toujours au garde-à-vous ! »
Au kommando Klinker, où les contrastes sont peut-être encore plus grands qu’ailleurs, le block 1 est à lui seul le Ciel et l’Enfer. En effet, ses deux ailes ont des affectations bien particulières et opposées. L’une est réservée à la kolonne Boulangerie, des privilégiés en quelque sorte, l’autre aux détenus parmi les plus infortunés du camp, ceux de la Strafkompanie, la kolonne disciplinaire. C’est là, dans l’allée entre les block 1 et 2, qu’à chaque retour de la kolonne des boulangers, se tient le marché de Klinker. Jusqu’à ce que Blockführer et Blockältester interviennent, on y échange contre du pain tout ce qui a pu être « organisé » ailleurs : cigarettes, bouts de saucisson ou de margarine, fume-cigarettes ou bagues en cuivre et aluminium.
Des différences aussi grandes se retrouvent d’une kolonne de travail à l’autre. À côté de celles à mauvaise réputation, amplement méritée, comme la fonderie, la briqueterie, d’autres permettent de mieux tenir, comme la kolonne 13, celle du laboratoire.
Pour certains, comme Antoine Blelly, le changement d’une mauvaise kolonne pour une meilleure est un coup de chance.
Pendant des mois, il manipule les briques coupantes qui mutilent les doigts, même si l’on parvient à se procurer des morceaux de chambre à air pour les protéger. Mais, en 1944, une affaire de trafic d’or dans laquelle trempent des détenus de droit commun libère de
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