Sachso
gravement endommagé. Toutes les vitres sont soufflées et les grandes portes complètement faussées restent ouvertes en permanence. C’est en plein courant d’air, assis à même le sol glacé, que les détenus doivent travailler.
Là, Rodolphe Parpeix touche le fond de l’abîme : « Chaque heure, nous recevons deux à trois coups de matraque en caoutchouc, car nous ne remplissons jamais assez la boîte carrée où chacun jette sa récupération.
« À midi, il est interdit de se laver les mains pour avaler nos trois ou quatre pommes de terre. Le soir, nous couchons sur place, dans la saleté… »
Non, il n’y a aucun moment de répit pour ces malheureux. Un dimanche après-midi, alors que, le kommando Heinkel bénéficie de quelques heures de tranquillité relative, René Pape, du block 6, voit arriver sur la place d’appel tout le Schwarzkommando : « Le commandant leur signifie qu’ils sont punis pour insuffisance de rendement. Au pas de gymnastique, il leur faut traverser la place d’appel encore éventrée de cratères de bombes. Les pauvres, en sabots, descendent au fond des trous, remontent, redescendent. Le supplice dure plusieurs heures.
« Tout à coup, un homme s’écroule et ne peut se relever. Le commandant, revolver au poing, se penche sur lui. Il va sûrement l’abattre, mais l’“homme noir” trouve la force de parler. Il s’exprime en anglais faute de savoir l’allemand. Il explique qu’il ne peut pas se relever parce qu’il est gêné par le corset de fer soutenant sa colonne vertébrale. Le commandant marque un instant d’hésitation puis remet son revolver dans son étui. L’homme est sauvé. C’est Chaillat, un employé des P. T. T. de Libourne. Il rentre en mai 1945, mais son état de santé est si grave qu’hospitalisé à la Salpêtrière il y meurt quelques jours après. »
Alex Le Bihan, du kommando Heinkel, assiste un soir à une autre punition du Schwarzkommando, retenu sur la place après l’appel : « Toute la meute hurlante des S. S. se rue sur eux, les fait ramper, marcher à croupetons, se rouler par terre. Ils tirent des coups de feu pour les effrayer. Cela se prolonge durant une heure. Ils sont anéantis. Combien meurent d’épuisement parmi ces vieux, parias entre les parias ! Pas question pour eux de vaquer dans le camp à la recherche d’un camarade de Heinkel. Leur aspect sale et noir les désigne d’emblée aux surveillants qui les pourchassent comme des pestiférés. Il faut un moral de fer et des ressources physiques incroyables pour résister. Parmi ceux qui survivront au bagne du Schwarzkommando se trouvent nos amis Émile Dubois, maire d’Aubervilliers après la libération, et le professeur René Musset, doyen de la faculté des lettres de Caen. »
CEUX DE LICHTERFELDE DANS BERLIN
Lichterfelde, un nom très poétique – le champ des lumières – mais aussi le nom d’un petit camp annexe de Sachsenhausen, à la limite sud de Berlin, légèrement au sud-ouest. « Un camp très ordinaire » où l’on souffre pourtant, où l’on frappe, où l’on pend. Il compte de quinze cents à seize cents détenus disséminés chaque matin en kommandos de travail dans Berlin. Leur tâches essentielles consistent à construire des bunkers souterrains, à déblayer les ruines des bombardements, à récupérer les briques qu’il s’agit de bien gratter, à consolider et réparer les immeubles occupés par la Gestapo et autres services administratifs nazis.
Souvent ils sont pris eux-mêmes sous la pluie de fer et de feu que les avions anglo-américains déversent sur Berlin. Le 15 mai 1944, Raymond Devos est blessé durant l’un de ces bombardements : une nouvelle épreuve qui s’ajoute à bien d’autres, car il est sans doute l’un des rares Français a avoir été déporté deux fois par les Allemands, en 1914-18 et en 1939-45. Le 10 juin 1917 il avait été arrêté à seize ans, du côté de Tourcoing, pour avoir transporté des pigeons-voyageurs dans son cartable d’écolier ; condamné à cinq ans de prison, il avait été déporté en Belgique. En mai 1942, il avait été arrêté en Bretagne pour son action dans le réseau « Confrérie Notre-Dame » et c’est du Struthof qu’il avait été dirigé sur Sachsenhausen, puis Lichterfelde.
Le plus important contingent de Français arrive à Lichterfelde le dimanche soir 1 er juillet 1944. Ils sont cent cinquante environ et font partie du convoi des
Weitere Kostenlose Bücher