Sachso
« 84 000 » stationné d’abord trois semaines à Neuengamme. Ils ne restent à Sachsenhausen que l’après-midi du 1 er juillet et beaucoup de raflés de Figeac sont parmi eux, comme Gaston Despoux qui note : « Il doit être 19 heures quand le portail d’entrée de Lichterfelde se dresse devant nous, au bout d’une petite route qui relie le camp à une grande artère. Tout de suite à droite se trouve le bâtiment des S. S. Passé le portail, il y a une grande place avec, à gauche, les blocks 1 et 2, à droite le block 3 et le magasin d’habillement. Au milieu du camp, les cuisines et, derrière, une grande place bordée à gauche par les lavabos, W.-C., douches et Revier, à droite par le block 4 et au fond par le block 5, divisé comme tous les autres en deux ailes A et B.
« Tout autour, des tranchées creusées en zigzags sont destinées aux détenus, en cas d’alerte. À l’extérieur du camp s’élève encore le bâtiment de l’intendance et une rivière coule, indifférente…
« Sitôt arrivés, nous sommes partagés, par ordre alphabétique, entre les cinq blocks. Je suis affecté au 4 B, en compagnie de Gaston Desmier, des Charentes, de Jean Didier, de Nancy, de Marcel Dominique, de Figeac… »
Pierre Genty, en découvrant le camp, cherche des Français. Ce sont des Soviétiques qui accourent : « Ils nous offrent du pain, des cigarettes. Pas fameuses, ces cigarettes à long tube de carton, mais le geste est si amical qu’une impression qui peut paraître paradoxale me gagne : une impression de bonheur, de fraternité internationale… » Le lendemain, il en va tout autrement. Les Français, réveillés comme les autres détenus à 4 h 30 par une cloche brutale – un morceau de tuyau métallique fixé par une potence à l’une des baraques – ont droit jusqu’à midi à une « séance de sport » qui est un cauchemar pour Pierre Genty :
« Rassemblés sur la place d’appel nous devons, les “84 000”, sous la direction d’officiers français de notre convoi, manœuvrer à la prussienne. Au commandement, il faut marcher au pas, s’accroupir, courir, s’allonger sur le sol, faire des tractions. Les officiers français désignés successivement par les S. S. sont, du colonel au commandant, du lieutenant au sous-lieutenant, jugés incapables et roulés dans la poussière. Il s’agit bien sûr de nous épuiser physiquement et de nous humilier, d’humilier la “grosse Nation”. Finalement, la manœuvre est commandée, sous les coups de schlague, par des officiers S. S. parmi lesquels le “Schwarz”, un Tzigane aux yeux effectivement très noirs, la terreur du camp, que nous apprenons vite à connaître. Sa spécialité est le coup de pied dans l’estomac. La mécanique est parfaitement réglée : la botte arrive au point précis et le détenu se roule par terre de douleur… »
Vingt-quatre heures après cette mise en condition, tout le monde se retrouve dans les groupes de travail qui partent souvent sur les chantiers en tramway ou en métro, car c’est une des caractéristiques de ce petit camp « urbain » . Déjà en mai 1943, cela frappe Roger Espitalié, prisonnier de guerre évadé et repris qui se dissimule sous le nom de Lucien Vandart et le matricule 66 814 : « Ce matin-là, je pars avec un groupe de six ou sept hommes accompagnés de deux S. S… Nous sommes hors du camp et bientôt, sans avoir rencontré âme qui vive, nous foulons l’asphalte de la ville… Ce quartier semble désert. Est-ce l’heure matinale ? “Halte !”
« Nous attendons quelques minutes au coin d’une rue et je me demande bien où je vais me retrouver. Mes compagnons sont tous, je crois Russes d’Ukraine et silencieux comme des automates. Bientôt, un tramway s’arrête devant nous et les sentinelles nous font prendre place dans l’unique wagon. Je suis de plus en plus intrigué et j’observe autour de moi. Bien sûr, c’est un service uniquement réservé aux concentrationnaires de Lichterfelde, mais quelle destination ? La ville devient plus dense… Quelques passants se rendant certainement au travail semblent étonnés en nous apercevant… Le tram, sans marquer un seul arrêt au cours de son voyage, stoppe enfin et nous descendons toujours conduits par les gardes S. S. Leipzigerstrasse : c’est là, dans cette rue, que nous nous rendons, sur un chantier où des travaux d’aménagement s’effectuent dans des locaux appartenant
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