Sachso
à la police… »
Deux ans plus tard, ce n’est plus de travaux d’agrandissement dont il est question, car Berlin est pilonné par les bombardiers anglo-américains. Du 8 au 13 mars 1945, Gaston Despoux prend le métro avec une équipe de Lichterfelde qui se rend au kommando Wannsee pour creuser des abris autour d’un immeuble de la Gestapo. Ils montent dans la dernière voiture réservée aux déportés et prisonniers de guerre, mais des civils se mêlent parfois à eux. Un jour, une voyageuse, en cachette des gardiens, réussit à faire passer un casse-croûte à Gaston Despoux, sans une parole, juste avec un sourire.
Christian Chabanon prend aussi le métro avec ses camarades Leboulanger, Duval, Delmas, Coupat, Chappe, Camus, pour gagner l’Hôpital de la Charité dans la Französichestrasse : « On entasse les déblais dans des remorques que l’on vide dans des péniches, sur la Spree. Le directeur de l’hôpital, un civil, est par bonheur francophile et francophone. Lorsque les Français travaillent dans ses bureaux, il abandonne toujours une canette de bière, une tranche de pain, quelques cigarettes… »
Un jour, Chabanon entend aussi parler français dans un bâtiment. Ce sont deux P. G. de Vénissieux, son pays : Petit et Guédet. Ils le reconnaissent et, pendant trois mois, ils l’aident ainsi que les autres Français de l’équipe en leur faisant passer du ravitaillement et du tabac. Comme les corvées les plus inattendues sont parfois confiées aux détenus, Chabanon est une fois occupé dans des locaux de la Gestapo à détruire des documents qu’une machine spéciale déchiquète. Il remarque une liste de noms avec deux mots « Guter Spion » (bons espions). Ce sont les identités d’agents étrangers, y compris Français, qui travaillent pour la Gestapo. Il glisse la liste sous sa veste et le lendemain, avec Delmas et Duval, la cache dans la chaufferie de l’hôpital de la Charité. Le 2 e Bureau en est averti à la libération, mais a-t-elle été retrouvée et utilisée ?
Une autre fois, avec cinq de ses compagnons, Chabanon est envoyé à la maison de Himmler. Il faut remettre des tuiles sur le toit endommagé par les bombardements. Mais des incursions discrètes sous les combles permettent quelques « prises de guerre ». Chabanon récupère pour sa part une paire de chaussures, qu’il ne quitte plus jusqu’à son retour en France.
Le 11 novembre 1944, sur le chantier de Roentgen-Station où les Français de Lichterfelde observent une minute de silence, Pierre Genty a une autre raison de se réjouir : « À mon arrivée, le matin, je vois une jeune infirmière ouvrir une porte et se précipiter vers moi en me remettant un casse-croûte que je dissimule vite pour le partager ensuite avec mon voisin. »
Ces gestes d’Allemands restent isolés, certes, mais ils contribuent à fortifier le moral des déportés français qui ont sur d’autres chantiers des contacts avec des compatriotes prisonniers de guerre. Le fait que les équipes de Lichterfelde se déplacent journellement dans Berlin, qu’elles côtoient de nombreux civils, qu’elles puissent établir des liaisons avec l’extérieur, explique que ce kommando connaît un assez grand nombre d’évasions et qu’il joue un rôle important dans le dispositif clandestin de résistance mis sur pied par les détenus allemands antifascistes de Sachsenhausen. Ces circonstances particulières facilitent notamment la première évasion, en juillet 1943 d’un Français de Sachsenhausen, Roger Espitalié.
Toutes les tentatives de fuir Lichterfelde ne sont pas pourtant couronnées de succès et la répression est féroce. Une exécution entre autres révolte les Français du camp et indigne Pierre Genty : « Un soir du mois d’août 1944, nous voyons à Lichterfelde une potence dressée. Devant elle, un homme très beau, très fier. Qu’a-t-il fait ? Je ne le sais pas. Ce que je sais, c’est ce que je vois. Quand tous les kommandos sont rassemblés, un S. S. lit la sentence de mort. Chacun retient son souffle quand le nœud de corde est passé au cou de notre camarade. Un treuil le hisse en l’étranglant lentement. Sa tête apparaît violette, noire. Plus d’un d’entre nous pleure… »
Les punitions pleuvent pour les motifs les plus futiles (tabac dans une poche, crayon sous une paillasse, etc.) et le mercredi est le jour du règlement des comptes. Ce soir-là, devant tout le camp rassemblé, les
Weitere Kostenlose Bücher