Sachso
trions se trouve à l’orée d’une forêt de pins, en bordure de cultures maraîchères et d’un canal. De là, nous entendons en permanence les aboiements forcenés de chiens féroces, élevés spécialement pour nous attaquer. Le chenil est dans les parages mais nous ne savons pas où exactement. »
Les femmes de ce kommando de triage d’habits obtiennent de se mieux vêtir en récupérant pour elles quelques effets. Puis elles en prélèvent pour leurs camarades grelottant de froid au camp. Bientôt elles en rapportent des baluchons entiers à la faveur de la nuit, du mauvais éclairage de la route et de la surveillante qui ferme les yeux. Mais le manège est éventé au début de mars par un mauvais coup du sort qui impressionne fortement Denise Manquillet : « Un soir, un chef S. S. de haut grade, du nom de Rössner, me semble-t-il, double notre colonne à bicyclette. Il nous scrute avec méfiance, fait demi-tour et nous croise cette fois, en nous observant toujours attentivement. C’est à lui sans doute que nous devons nos ennuis du lendemain.
« Nous sommes au travail quand nous voyons arriver avec surprise, pour nous remplacer, une autre équipe entièrement vêtue de rayés, elle. Sans attendre, nous devons revêtir la même tenue et reprendre le chemin du camp.
« Nous avons conscience de la gravité de l’affaire… Les vêtements dérobés n’étant pas marqués, ils peuvent servir aux candidates à l’évasion : crime suprême, justiciable de la pendaison sans jugement. Aussi quelle n’est pas notre angoisse quand, au lieu de nous ramener directement chez Auer, on fait entrer notre groupe – chose inhabituelle et même extraordinaire – dans le camp des hommes et on nous fait stationner pendant deux heures devant le crématoire. Nous croyons bien alors toucher au terme de notre existence, mais la surveillante reparaît et nous nous remettons en marche. Nous sommes désormais affectées, avec les autres, à l’usine Auer… »
Dans les ateliers où des affiches interdisent aux civils de parler aux prisonnières cataloguées détenues de droit commun et femmes de mauvaise vie, la consigne n’est pas toujours suivie. Esther Brun-Kennedy, qui vérifie si les masques à gaz ne sont pas percés – elle se charge au besoin de les trouer pour augmenter le nombre des rebuts – a en face d’elle une ouvrière allemande qui n’est pas dupe des avertissements officiels : « De temps en temps, elle me donne une pomme ou même un morceau de pain que je coupe en quatre pour partager avec trois de mes camarades. À plusieurs reprises, elle m’apporte en cachette une boisson chaude et du sirop, car je tousse sans arrêt. »
Esther Brun-Kennedy surmonte son mal, mais une de ses amies, Thérèse Delbos, de Déville-les-Rouen, succombe aux mauvais traitements et à la faim avant le bombardement du 15 mars 1945, qui anéantit l’usine Auer et son camp.
À SACHSENHAUSEN. Chassées de leurs kommandos par les bombardements qui arrosent les usines de la région berlinoise, les déportées sont entassées en mars et avril à Sachsenhausen ; un petit camp de femmes s’installe à l’intérieur du grand camp des hommes.
Des Françaises s’y retrouvent après avoir été séparées. Renée Dray, de Marseille (et de Siemens), tombe dans les bras de Thérèse Andreau, de Paris (et d’Auer). Annie Darjo arrive de l’usine de piles électriques Pertrix, Gilberte Bouquet de Ludwigsfelde, au sud de Berlin, etc.
Sans perdre de temps, les S. S. les répartissent en kommandos de déblaiement, qui retournent sur les ruines des environs. Comme Renée Dray, Odette Foirest fait partie des équipes dirigées sur ce qui reste des usines Auer : « Nous avons quatre kilomètres de marche matin et soir, avec la pelle ou la pioche que nous avons tant de mal à porter sur nos épaules décharnées. Nous ne rentrons qu’après douze heures de terrassement, complètement épuisées. » Les premiers temps, on distribue sur place, à midi, une tranche de pain et de saucisson, puis il n’y a plus rien. Juliette Neff, qui n’a pas de kommando fixe, rebouche des trous de bombes ou travaille dans les champs.
Après une de ces corvées agricoles, quelques pommes de terre chaudes sont distribuées à l’équipe. Quelle aubaine, car, au camp, la situation se dégrade de plus en plus.
Dans l’enclos des femmes, l’hygiène est déplorable. Au début, il n’y a pas de latrines et les S. S. font
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