Sachso
les techniciens des ateliers S. S. et les Posten, sentinelles de diverses origines qui gardent les kommandos de travail, et, sur la fin, assurent des surveillances dans les miradors. Plusieurs camarades font notamment référence à des contacts avec des Alsaciens enrôlés de force pour cette besogne, ce qui constitue un forfait de plus à ajouter à tous ceux des hitlériens. Voici par exemple l’« événement » qui impressionne si fort Jacques Placet, infirmier au Revier Heinkel :
« De garde cette nuit-là, je suis appelé pour une urgence dans un block de l’autre côté du camp. Selon les règles établies, je dois obligatoirement emprunter le chemin de garde circulaire longeant la clôture et m’annoncer à chaque mirador : “Prisonnier n° tant, infirmier de garde, appelé pour une urgence au block tant.” De mirador en mirador, un projecteur me prend en charge. Au pied de l’un d’eux, la lumière m’aveugle et je ne vois pas un trou boueux où je mets le pied. C’est plus fort que moi, je peste en français avant de faire mon rapport. Le phare s’éteint et une voix chuchotante me répond en français du mirador : “Tu as raison, pour un pays pourri, c’est un pays de cons ! Ramasse vite ce qui va tomber.” C’est un pain. Aussitôt après, lumière et rugissements en allemand repartent du mirador.
« Arrivé à destination, je partage le pain avec le blessé que je soigne et ses amis qui l’ont assisté en m’attendant.
« Le lendemain, un S. S. entre au Revier : “Je veux voir le Français qui était de garde hier soir.” Je me présente, peu rassuré. Il m’emmène à l’écart et m’interpelle en français : “Fais-moi un pansement, ce n’est qu’un prétexte. Je suis un Français enrôlé de force. Si tu savais comme je suis heureux de pouvoir causer avec un compatriote…” Je réplique avec une peur bleue : “À vos ordres !” Il reprend : “Tiens, je ne te donne pas mais je laisse sur la table vingt pierres à briquet et un paquet de margarine.” Il est revenu plusieurs fois, avec toujours des monnaies d’échange, des casse-croûtes pour la solidarité, de la soupe.
« La dernière fois, il est venu tout habillé de noir, avec le béret des “volontaires de la mort”. Devenu suspect à ses chefs, il était envoyé sur le front russe. “Si tu rentres, me dit-il, fais savoir à ma famille que malgré tout ce qui a pu se passer je suis toujours resté un bon Français.”
« Il se nommait Fischer. Son prénom, je ne m’en souviens plus : René, Roger ou André. Il m’avait donné Metz comme dernière adresse. Mais, à la libération, toutes mes démarches auprès des autorités de cette ville sont restées infructueuses. »
LA STRAFKOMPANIE
La Strafkompanie (SK), ou compagnie disciplinaire, est à l’intérieur du camp un bagne dans le bagne. Sous prétexte de manquements graves à la discipline et au règlement, le commandant S. S. y mute les punis dont il veut se débarrasser pendant un certain temps ou pour toujours. La Gestapo et la police criminelle y envoient directement des prisonniers avec la mention « R. U. » qui suffit à fixer leur sort sans équivoque, puisque ce sont les initiales de Rückkehr unerwünscht, « retour non souhaité » .
Les détenus de la SK sont isolés dans l’aile d’un block spécial dont l’accès est strictement interdit aux autres prisonniers. Ils portent sur leurs vestes et leurs pantalons de gros points rouges ou noirs qui les signalent de loin aux S. S. et aux surveillants. Ils sont astreints aux corvées les plus dures.
Au début, la Strafkompanie de Sachsenhausen est affectée à la carrière d’argile de la briqueterie Klinker. Elle y loge à partir de la mi-août 1941. Les hommes travaillent dans l’eau jusqu’aux genoux et ne peuvent se déplacer qu’au pas de course, y compris pour pousser les wagonnets de glaise. Durant l’été 1942, sur un effectif constamment maintenu entre soixante-dix et quatre-vingts punis, il en meurt chaque jour quatre ou cinq d’épuisement et sept à dix sont abattus quotidiennement pour de prétendues « tentatives d’évasion » . Tels sont les chiffres avoués à son procès après guerre par le lieutenant S. S. Ficker, qui commandait la SK à cette époque.
En 1943, à la Strafkompanie de Klinker, consacrée maintenant aux plus exténuants travaux de chargement des briques dans les péniches, s’en ajoute une seconde. Elle
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