Sachso
ces croix sur la figure, pourquoi les pieds et les mains liés ? Il me répond qu’ils sont condamnés à mort.
« Je n’en saurai pas davantage, car un S. S., ayant entendu parler, sort du baraquement et je suis déjà loin quand il frappe à coups de crosse plusieurs des détenus enchaînés.
« Le soir, je rentre normalement à Heinkel, mais j’aurai beaucoup de mal à surmonter tous les événements dramatiques de cette journée. »
Alors qu’à Klinker l’interdiction d’accès au baraquement de la Strafkompanie est rigoureusement appliquée, à Sachsenhausen les grilles qui entourent le block 13 s’entrouvrent à la dérobée pour des camarades des punis. Selon l’humeur des S. S. et le rapport des forces au sein de la hiérarchie détenue, des chefs de block et Vorarbeiter rouges, verts, noirs, ne sont en effet pas exempts de séjour à la SK et des complicités jouent pour les uns et les autres. De la sorte, les Français de la Strafe peuvent bénéficier de la visite de camarades courageux qui leur remettent des suppléments de ravitaillement, des parts de solidarité prélevées à la réception des colis. Pour Roger Agresti, c’est un réconfort inappréciable : « Parmi ceux qui bravent le danger pour nous rejoindre, il y a particulièrement Frédéric Esparza, Alfred Rey, Pierre Saint-Giron… Les deux derniers subiront eux-mêmes la Strafe pour leur action résistante, Pierre Saint-Giron, notamment, pour sabotage de matériel dans son kommando. Dans notre groupe, Pierre Renaudet, dont l’autorité morale est reconnue de tous, veille à ce que chacun ait sa part et, quand il le faut, il étend cette solidarité en dehors de notre cercle de Français. »
Quand un déserteur de la Wehrmacht nommé Jakob entre au camp directement par la Strafe à l’été 1943 et concentre sur lui toute la fureur des S. S., des surveillants et des Allemands du block 13, il n’y a que les Français à ne pas le rejeter. Quelques mois plus tard, Jakob devient le chef du block 13, par un machiavélique calcul des S. S. qui réussit. Lui qui en a tant enduré à la Strafe se venge et sévit encore plus durement pour se maintenir en poste. Il ne se souvient de ce qu’il doit aux Français qu’à de rares instants dont l’un concerne Bernard Méry : « Dès que nous rentrons le soir au block 13, nous quittons nos brodequins de marche et chaussons les claquettes en bois du camp. Nous rangeons notre havresac sur une planche à hauteur d’homme, toujours à la même place, afin de le récupérer rapidement le lendemain matin, les derniers sortis étant copieusement frappés. Or, ce matin-là, mon sac n’est plus à sa place. J’en prends vite un autre. À ma grande surprise, il est beaucoup moins lourd. Sans réfléchir je me dis “Quelle aubaine.” et j’enfile les bretelles en courant vers notre lieu de rassemblement entre les blocks 13 et 14. C’est là que nous attendons au garde-à-vous la fin de l’appel et l’évacuation de la place pour commencer notre marche, car les pestiférés de la Strafe ne doivent pas se trouver avec les autres détenus.
« Satisfait de mon nouveau sac, j’en parle aux copains. Je ne suis pas le seul dans mon cas, coïncidence bizarre et inquiétante, d’autant plus inquiétante que le bruit court maintenant d’un contrôle des sacs. Les anciens chefs de block et Vorarbeiter, pensionnaires privilégiés de la Strafe, prévenus la veille, ont en conséquence laissé à d’autres leurs sacs trafiqués.
« Oui, il y a bien contrôle lors d’un passage devant la grande porte du poste de garde. Mon tour d’inspection arrive. Je soulève mon sac déposé à terre. L’officier S. S. s’aperçoit qu’il a l’air d’un ballon dégonflé tellement il est allégé. Il me regarde sans rien dire. Les autres S. S. ricanent. C’est alors que Jakob se dépêche d’intervenir pour minimiser mon cas pendant qu’il me gifle à deux reprises. Pour moi, l’incident est clos. Il n’en est pas de même pour d’autres. On leur donne deux sacs à porter, vingt-cinq kilos de sable. Après plusieurs tours de piste, ils s’écroulent. On les traîne devant le poste de garde, puis au Revier. Deux ne reviendront plus. »
À chaque passage devant le Revier, les hommes du Schuhlaüfer-Kommando essayent de deviner les visages des malades derrière les fenêtres. Tantôt ils les envient d’être à l’abri, au lit ; tantôt ils craignent de tomber en leur état
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