Sachso
réponse nette et claire : “ Erbsen ” (petits pois). En fait, c’est le rutabaga habituel… »
Certains jours, la ronde du Schuhlaüfer-Kommando prend pour les cent marcheurs une allure sinistre : lorsqu’ils voient monter la potence sur la place d’appel. En général, les condamnés à la corde sont des punis de la Strafe et, comme ses camarades, Roger Agresti appréhende ces soirs-là : « C’est au moment de l’appel, quand nous sommes derrière les grilles du block 13, que les S. S. viennent chercher le supplicié. Un soir, ils en ont même pris un au réfectoire, où nous étions déjà rentrés. C’était à la table voisine de la nôtre. Ils se sont approchés, lui ont mis la main sur l’épaule. Le gars a eu le réflexe de ramasser son pain en se levant. Un S. S. l’a reposé sur la table en disant : “Où tu vas, tu n’en as plus besoin.” »
Souvent, la potence a deux cordes, pour deux pendaisons simultanées. À la fin de 1944, Bernard Méry voit mourir de la sorte deux S. S. qui avaient déserté sur le front de l’Est : « Ils arrivent en uniforme à la Strafe, mais dans quel état : boutons et insignes arrachés, ceinturon enlevé, menottes aux poignets. On ne leur enlève pas ces menottes pour la marche quotidienne qu’ils font avec nous. Même au block, ils demeurent enchaînés la plupart du temps. Ils le restent jusqu’au dernier moment. »
Soixante fois par jour, ceux de la Strafe déchiffrent malgré eux les conseils que Himmler a fait inscrire sur les pignons des baraques bordant la place d’appel et parmi lesquels figure le block 13 : « Il y a un chemin vers la liberté ; ses bornes kilométriques s’appellent obéissance » etc. Leur chemin, hélas, est celui de la pire captivité et les seules bornes qui le jalonnent sont les hommes qui tombent sans que la colonne s’arrête. Demain, d’autres les remplaceront ; il en faut toujours cent au block 13 dont le pignon porte, ô dérision, le mot Liebe (amour), l’avant-dernier mot du dernier conseil (amour de la patrie) prodigué par Himmler aux détenus de Sachsenhausen.
LE TRÉSOR DES S. S.
Siège de l’inspection centrale des camps de concentration, Sachsenhausen centralise les rapines et les pillages des S. S. sur toutes leurs victimes : celles qui entrent dans les bagnes nazis de toute l’Europe occupée, celles qu’ils exterminent sur place, dans le ghetto de Varsovie ou ailleurs.
Des montagnes de vêtements, de chaussures s’emmagasinent dans les kommandos spécialisés de Sachsenhausen dont nous avons déjà parlé (Bekleidungswerke et Schuhfabrik) où l’on récupère bijoux, argent, valeurs dissimulés dans les doublures et les semelles.
Une monstrueuse comptabilité enregistre indifféremment tout ce qui grossit le trésor des S. S. : les trouvailles de Schuhfabrik aussi bien que le poids des cheveux des prisonniers rasés à répétition et vendus 0,50 Reichsmark le kilo à la firme Alex Zink, de Roth, près de Nuremberg ; les dents en or arrachées sur les cadavres du crématoire aussi bien que les montres et les stylos, etc.
Des détenus tiennent les livres de compte, dressent les états, totalisent les bilans. On leur demande une bonne écriture et le silence. Ils appartiennent au kommando de l’ Effektenkammer (Economat), dont les équipes travaillent dans des bureaux du camp ou dans des caves souterraines de la Kommandantur qui abritent les richesses les plus précieuses. Les S. S. estiment ne courir aucun risque en confiant ces postes administratifs, et en fait leurs secrets, à des détenus qu’ils peuvent supprimer comme ils veulent à tout moment. En général, ce sont des Allemands ou des étrangers parlant plusieurs langues. Aucun Français n’en fait partie. Mais, en 1965, l’ancien journaliste yougoslave Édouard Calic rapportera ce qu’il y a vu, dans son livre Himmler et son empire, publié aux éditions Stock.
Édouard Calic récapitule à l’ Effektenkammer la « comptabilité matières ». Il donne entre autres les renseignements suivants qu’il a lui-même directement relevés : « Sur 157 000 détenus figurant aux “entrants” à Sachsenhausen, et sur les 35 000 non immatriculés dirigés directement vers le crématoire il a été saisi : 54 000 bagues et alliances, 52 000 montres, 22 000 stylos de valeur, 5 200 lunettes, 650 appareils de photos et machines à écrire et près de 14 000 bijoux, étuis, porte-cigarettes,
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