Sachso
qui nous donnent des nouvelles de la situation en France.
« Fin janvier 1945, l’avance soviétique provoque les préparatifs d’évacuation de Lieberose. Au début de février, nous quittons le camp par la route, en direction de Sachso. Nous sommes environ dix-huit cents à partir, sur un total de près de quatre mille détenus. Après deux jours de marche, un groupe de S. S. nous rejoint. Des camarades belges qui comprennent l’allemand nous informent que ces hommes ont enfoui quinze cents à dix-huit cents malades juifs intransportables dans la fosse du four crématoire en construction et les ont recouverts de chlore.
« Nous sommes onze Français et un groupe de Belges à se serrer les coudes. Il n’y a pas mon meilleur ami, “Bébert” Merlin, de Paris, qui a regagné Sachsenhausen à la fin de décembre 1944. Il ne s’était pas remis d’avoir été battu par le Vorarbeiter des cuisines, l’Allemand Tony, qu’il avait cependant aidé en France à son retour de la guerre d’Espagne et qui lui avait crié dans sa colère : “Sales Français ! Je voudrais que vous creviez tous !” Mais il y a Gaston Delcroix, André Caron, d’Avion, Georges Bazin, de Lille, un gars de Lyon, René Roubaix, je crois… Parmi les Belges, Fernand Colaux, de Beauraing, Maurice Demortier, de Liège, René Burlion et Émile Vancampenotte, de Bruxelles, Declercq, etc.
« Nous atteignons Falkensee à bout de force vers le 8 février… »
Marc Granouilhac accomplit aussi ce tragique exode. Depuis son entrée à Lieberose parmi les premiers Français, avant même les juifs, il avait cru tout voir. Il découvre le plus horrible ces jours-là : « Au bout de dix kilomètres de marche commencent les premières exécutions. Dix camarades juifs sont abattus d’une balle dans la tête.
« La deuxième nuit est épouvantable. Nous sommes parqués depuis deux heures lorsque entrent plusieurs S. S. qui, à l’aide de lampes électriques, procèdent au tri : d’un côté les juifs, de l’autre les non juifs. Puis ils s’acharnent à coups de gummi sur les premiers, une véritable tuerie ! Toute la nuit, cris d’angoisse et cris d’agonie se mêlent. Au petit matin, les corps des juifs morts ou blessés jonchent le sol.
« D’autres matins, un officier inspecte les rangs avant le départ. Il fait sortir les juifs les plus affaiblis. Ils sont conduits derrière un fourré par deux S. S. accompagnés de détenus avec des pelles. Une rafale et nous attendons le retour des assassins et des fossoyeurs pour nous remettre en marche… »
À Sachsenhausen même, où les docteurs du Revier Émile-Louis Coudert et Marcel Leboucher sont pourtant cuirassés contre la misère et la souffrance, l’arrivée de deux convois de juifs hongrois les bouleverse.
Pour Émile-Louis Coudert, c’est un des épisodes les plus extraordinaires de l’histoire du camp que cette arrivée, fin décembre 1944, un ou deux jours avant Noël, d’évacués de Budapest :
« Il s’agit d’un convoi presque exclusivement formé de juifs, qui ont fait toute la route à pied. Combien étaient-ils au départ, voici plusieurs semaines ? En tout cas, ils ne sont pas plus de huit cents en ce milieu d’après-midi du 23 décembre – oui, je crois que c’est la date – sur la place d’appel enneigée. Pendant l’attente qui se prolonge, quelques-uns tombent morts, gelés, tellement gelés que leur chute sur le sol durci s’accompagne d’un bruit sec.
« D’autres sont transportés à l’ambulance pour être ranimés. Je vais les voir. Leurs corps sont froids, leurs membres affreusement maigres, raidis et durs comme du bois ; il est impossible de mouvoir leurs articulations. Quelques-uns ont des pauses respiratoires si longues, deux par minute, que nous les pensions déjà morts. Hélas, aucun ne peut être ranimé.
« J’assiste ensuite au déchargement des camions qui suivaient le convoi et dans lesquels les morts étaient jetés au fil des kilomètres. Les cadavres rebondissent par terre comme des barres de fer.
« Tous les survivants disparaissent dans la chambre à gaz de Sachsenhausen. »
Le premier dimanche de février 1945, au début de la nuit, d’autres juifs sont amenés à l’ambulance, rescapés d’un convoi chassé de l’Est par l’offensive russe. Beaucoup sont Hongrois d’origine, mais il y en a d’autres nationalités. Ils ont fait le voyage en train, sur des plates-formes sans abri. Parmi les
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