Sachso
Sachsenhausen, qu’est-ce que cela entraîne ? En général, ceux qui viennent dans les convois de France sont des résistants arrêtés avec d’autres patriotes et ne portent, comme eux, que le triangle rouge. Ils subissent le sort commun. Quelques-uns ont l’étoile jaune, qui les désigne d’office pour les kommandos disciplinaires, les plus durs travaux. Cependant, grâce à diverses complicités, plusieurs pourront se défaire de l’étoile sans attirer l’attention et se replonger dans la masse anonyme.
À cette époque, 1943, les déportés raciaux juifs sont refoulés sur Auschwitz, Treblinka, Maïdanek. À Sachsenhausen, il ne reste plus que quelques survivants allemands des grandes rafles antisémites qui se sont succédé depuis 1938. Il y en a dans le block de Pierre Clément : « C’est une situation assez paradoxale, et bien que tolérée par le Lagerführer S. S., elle n’en est pas moins blâmée par les Blockführer.
« Un soir à l’appel, l’un de ces S. S. interpelle un juif de petite taille, au premier rang, avec l’étoile bien visible sur sa veste en dessous du triangle rouge : – “Dis-donc, toi, qu’est-ce que tu es ? Tu n’as pas de lettre sur ton triangle rouge ?” – “Je suis Allemand, monsieur le Blockführer.” Une gifle. Le petit juif tremble. Qu’a-t-il pu dire pour indisposer le S. S. ? Il tient son Mütze à la main et reste au garde-à-vous. L’autre répète : – “Qu’est-ce que tu es ?” – “Je suis Allemand, monsieur le Blockführer.” Cette fois, un coup de poing l’envoie par terre et le S. S. hurle : – “Qu’est-ce que tu es ?” – “Je suis… juif, monsieur le Blockführer.” – “Enfin ! Ce n’est pas trop tôt ! J’allais t’assommer sur place. Il n’y a pas de juifs allemands. Il y a des Allemands aryens et nationaux-socialistes et des juifs, de sales juifs que les Allemands envoient en camp de concentration pour qu’ils s’y fassent exterminer. Tu n’en as plus pour longtemps.”
« Le S. S. s’éloigne puis tout à coup revient sur ses pas : – “À propos, d’où viens-tu ?” – “Je suis d’Iéna.” – “Quelle est ta profession ?” – “J’étais commandant”.
« Le S. S. s’en va en crachant sur les juifs et sur l’armée de la République de Weimar qui avait admis dans son sein de pareilles saloperies. »
Le dernier gros transport de juifs avait quitté Sachsenhausen à l’automne 1942 dans des conditions dramatiques qui ont donné lieu à l’une des rares rébellions du camp. Le 21 octobre 1942 au soir, les juifs rassemblés alors dans les blocks 37, 38, 39, reçoivent l’ordre de ne pas aller au travail le lendemain. Il est question d’un départ pour Auschwitz ou Lublin, mais le 22 octobre les préparatifs ne sont pas ceux qui ont habituellement cours pour un tel voyage. Le matin, seuls sur la place d’appel, les hommes sont minutieusement fouillés. Tout leur est ôté. Ils sont privés de la soupe de midi et quelques heures plus tard ils doivent échanger leurs tenues rayées pour des loques en treillis. C’est la tenue dont les S. S. revêtent ceux qu’ils vont fusiller à l’ Industriehof (la cour du crématoire). Chacun le sait et la peur se lit sur de nombreux visages. Mais un groupe de jeunes du block 39 décide de réagir. Puisque l’heure de l’appel approche, appel dont ils sont déjà exclus, ils choisissent ce moment pour une ultime manifestation.
Dix minutes après que la cloche de 18 heures a retenti, dans le silence qui s’est abattu sur le camp pour le comptage, les douze mille détenus au garde-à-vous entendent une fenêtre claquer du côté des juifs isolés et des cris s’élever : « Tirez donc, bandes de chiens ! Si vous voulez nous tuer, tuez-nous tout de suite ! »
L’instant de stupeur passé, les S. S. se ruent vers le block et dans un tumulte invraisemblable ramènent dix-huit jeunes qu’ils jettent à terre aux pieds des Blockführer. Ces derniers ont déjà dégainé leurs pistolets et vont achever les malheureux quand le commandant du camp surgit, alerté par le bruit. Il ordonne aux Blockführer de rengainer et aux prisonniers de se relever. Il ne veut pas d’un massacre comme celui-ci, en public, qui pourrait nuire à sa réputation d’autorité. Il interroge les dix-huit. Il leur promet qu’ils vont en transport et pas à l’Industriehof. À l’étonnement général, il les renvoie parmi
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