Sachso
leurs camarades qui, dit-il, doivent récupérer leurs affaires et être nourris.
Quelques heures plus tard tous quittent le camp, au pas, avec les jeunes du block 39 qui chantent fièrement un air révolutionnaire : « Uns gebt die Sonne nicht unter » (Pour nous le soleil ne se couche jamais). Mais où sont-ils allés ? Nul ne l’a jamais su.
Il faut attendre l’été 1944 pour revoir des arrivées massives de juifs à Sachsenhausen. Beaucoup viennent de Hongrie, où les événements intérieurs se sont précipités avec encore une fois l’intervention directe de Skorzeny. À la tête de ses troupes spéciales, il s’empare au printemps 1944 des immeubles gouvernementaux de Budapest et met en place les nouveaux valets de Berlin qui, en trois mois, déporteront quatre cent mille juifs.
À Oranienburg-Sachsenhausen, un block, le 11, est affecté aux détenus à l’étoile jaune, et deux camps-annexes sont agrandis à leur intention : Schwarzheide, dont il sera parlé dans le dernier chapitre, et Lieberose.
Lieberose est à cent vingt kilomètres au sud-est de Sachsenhausen, non loin de la Spreewald, où les Sorabes circulent en barques comme les Vendéens dans le Marais poitevin. Ce pourrait être un paradis, c’est un enfer que les juifs hongrois partagent avec une minorité d’autres déportés non juifs, parmi lesquels des Français.
Henri Conzett, d’Amboise, y débarque un matin de l’été 1944 avec une soixantaine de Belges et de Français : « Nous arrivons à l’aube à Lieberose. La cloche sonne le réveil du camp situé dans une forêt de pins à proximité de la gare. L’enceinte franchie, une triste vision s’offre à nous : des juifs squelettiques sont allongés autour des baraques, d’autres se traînent sur leurs jambes enflées, enveloppées de bandes de papier. Tous donnent l’impression d’être des moribonds. Ils sont là depuis le début de juin. Deux Français présents au kommando depuis sa création en février 1944 nous expliquent que sur deux mille cinq cents il en est mort cinq cents en quelques semaines.
« Est-ce ce mouroir qu’il s’agit de camoufler, de rendre moins lugubre ? Avec mes camarades français et belges, je suis immédiatement employé à créer des massifs à l’entrée du camp et parmi les pins. Durant trois semaines nous plantons des arbustes.
« Notre Vorarbeiter, un triangle rouge allemand, a été chef jardinier dans les grands parcs de la ville de Berlin. Nous allons avec lui chercher les arbustes dans les bois alentour. Il n’est pas mauvais avec nous, et pourtant il frappe les juifs qu’il croise dans le camp.
« Un jour, tous les moribonds partent pour leur dernier voyage sur terre. Ceux qui tiennent encore debout vont à la gare à pied. Les autres sont jetés dans des bennes. On les saisit par la tête et les pieds et ils sont balancés comme des sacs. Le choc des corps qui retombent résonne sinistrement dans nos cœurs, car les S. S., vraisemblablement pour nous impressionner, ont tenu à ce que le chargement se fasse devant le camp rassemblé. Les victimes sont destinées au crématoire de Sachsenhausen. La construction d’un four est commencée à Lieberose, mais l’avance de l’armée rouge ne permettra pas son achèvement.
« Notre travail de jardinage terminé, nous échouons dans un groupe de mille détenus travaillant à Uberdorf, je crois. Nous sommes répartis en dix kolonnen de cent détenus, juifs ou non. C’est dans la forêt, à trois ou quatre kilomètres du camp. Pour nous y rendre comme pour en revenir, nous devons quitter nos galoches et les porter à l’épaule.
« Nous abattons des arbres et creusons jusqu’à deux mètres de profondeur l’emplacement de constructions futures. La terre extraite est érigée en monticules d’une dizaine de mètres de haut que les brouettes grimpent, attelées de trois ou quatre détenus. Chaque soir, les juifs portent plusieurs des leurs complètement épuisés. Les jours s’écoulant, je me sens moi aussi décliner.
« Au bout d’un mois, en octobre 1944, un camarade de mon block, Fontaine, est évacué, malade, au grand camp. Gaston Delcroix, un mineur de Lens, et Albert Colignon, un Belge de Mons, obtiennent de leur Vorarbeiter que je remplace Fontaine dans leur kolonne. Nous ne sommes qu’une douzaine. Nous montons un chalet en bois pour la famille d’un officier S. S. Quatre sentinelles nous surveillent ; quelquefois, ce sont des Alsaciens,
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