Sachso
sûr des détenus, mais doté d’une confortable veste bleu marine et d’un béret de la même couleur. Il affecte de la froideur vis-à-vis des autres prisonniers mais ce n’est que façade. Le docteur Coudert s’en aperçoit vite, à l’été 1943, lorsqu’il est promu chirurgien du Revier après avoir retrouvé à Sachsenhausen ses camarades du « groupe des Tunisiens » arrêtés avant lui. Paul Muller, le docteur Coudert et Alex Luntz, un des « Tunisiens » devenu infirmier, forment bientôt au Revier un trio d’amis et de complices qui participent à l’œuvre commune de solidarité. Mais ce qui intéresse avant tout Paul Muller est de s’évader. Il a jaugé Alex Luntz. Il sait qu’il sera un partenaire efficace. Il sait qu’avec lui il sera sûr de trouver un premier asile à Berlin auprès des « Tunisiens » qui ont été libérés du camp et astreints au travail obligatoire. Dès lors, son plan s’échafaude en secret.
À l’étonnement général, y compris du docteur Coudert qui ne sera mis au courant que plus tard, Paul Muller se fait volontairement renvoyer du Revier et affecter au block 3, à un kommando extérieur de travail qu’il a soigneusement choisi. C’est celui de Fichtengrund. Dans le complexe des installations S. S. qui entourent le camp, c’est le plus éloigné, à l’autre bout de la forêt, en bordure de la grand-route de Berlin. C’est un petit kommando qui édifie une nouvelle cité de chalets pour les S. S. et leurs familles. Un officier S. S. en est responsable et a son bureau sur place. Paul Muller commence un siège patient. Une nouvelle fois, son autorité naturelle et la valeur marchande de ses colis font merveille. Il devient l’homme de confiance de l’officier, qui lui abandonne parfois la direction du kommando. Il va et vient dans le bureau, il a tout loisir d’étudier les déplacements des S. S., la relève du poste de garde, les arrêts des cars sur la route.
Ce n’est qu’après s’être procuré des uniformes et des bottes d’officier S. S. qu’il revient voir le docteur Coudert pour que celui-ci cache les effets nazis au Revier, où les S. S. ne fouillent jamais. Le docteur n’a pas une minute d’hésitation, il accepte. Tout s’éclaire pour lui, y compris le retour d’Alex Luntz comme « malade » au Revier de Sachsenhausen alors qu’il avait été muté entre-temps infirmier au Revier de Heinkel. L’évasion est fixée au 2 février 1944, jour de la sortie du Revier de Luntz, que Muller a fait inscrire d’avance à l’effectif de Fichtengrund.
Une ultime rencontre a lieu le 1 er février au soir chez le docteur Coudert. Paul Muller a gardé une dernière bouteille de vin du Rhin pour célébrer l’événement, auquel met fin une alerte aérienne et l’extinction totale des lumières. Au matin, Muller et Luntz, comme prévu, sont ensemble dans la soixantaine d’hommes qui rejoignent le chantier de Fichtengrund. Mais dans ce kommando il y a aussi Maurice Bonjour, un des « Tunisiens » précisément, qui connaît bien Luntz et a bénéficié de ses soins au Revier. Il y a aussi Robert Basque, qui remarque ce nouveau Français, mais celui-ci élude toutes les questions : « Oui, je travaillais au Revier mais j’en avais assez d’être enfermé. On est mieux dehors, j’aime bien mieux travailler au grand air. » Robert Basque n’arrive pas à comprendre le raisonnement du 63 205, qui le quitte pour aller dans la kolonne des électriciens.
Le soir, la sirène à main qui rythme l’activité du chantier retentit. Elle sonne l’appel du kommando avant le retour au grand camp. Le Vorarbeiter compte et recompte les détenus : deux manquent. Les hommes sont regroupés par kolonnes de travail. Chez les électriciens, Basque cherche en vain la haute stature du « nouveau » . Les chalets sont fouillés au cas où les disparus se seraient tout simplement cachés dans un recoin pour dormir : personne.
Les S. S. arrivent avec leurs chiens et entreprennent une recherche méthodique avec tous les détenus de nationalités autres que celles des fuyards. On apprend ainsi qu’il s’agit d’un Luxembourgeois et d’un Français. « L’évasion de Muller et de Luntz » commence et entre dans la légende du camp avec ces noms que nous avons tenu à conserver en ce qui concerne Le Vernoy.
La battue dans Fichtengrund s’étant révélée vaine, le kommando est regroupé à coups de gummi et rentre à
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