Sachso
Sachsenhausen. Dans les rangs, les suppositions vont bon train. Chacun se demande comment les évadés ont pu traverser le terrain découvert au-delà du poste de garde jusqu’à la route, toujours très fréquentée.
C’est précisément cette route qu’ont empruntée les fugitifs après avoir endossé les uniformes d’officiers S. S. obtenus par Muller et cachés par le docteur Coudert. Ils ont franchi calmement le poste, salués par les hommes de garde.
Le car de ramassage régulier les dépose à la gare d’Oranienburg, d’où ils prennent le train pour Berlin. Là ils se rendent directement chez Boris de Brodzky, l’ancien n° 63 216 de Sachsenhausen et de Heinkel, qui anime le groupe des libérés « tunisiens ». Dans sa chambre de la Roonstrasse, à Spandau, ils se débarrassent de leurs uniformes compromettants pour des vêtements de travailleurs civils.
Après bien des péripéties, ils arrivent un mois plus tard au Luxembourg. Encore un mois et Luntz est à Paris, d’où il écrit à ses camarades « tunisiens » restés à Sachsenhausen : Maurice Bonjour, le docteur Coudert et Lucien Treiber. Ceux-ci recevront bien ces messages postés à Paris rue Singer pour Bonjour, et portant pour les autres des adresses d’expédition significatives comme celle reçue au block 45, son dernier block à Sachsenhausen : « M. Lafuite, 22, rue de la Liberté, Paris. » Puis Luntz passe clandestinement en Espagne et reprend son action.
Lors des bombardements de la fin de la guerre, en mars-avril 1945, les évasions sont assez nombreuses dans certains kommandos de femmes où le réseau de surveillance est moins dense. Il sera parlé dans un autre chapitre de l’évasion de Denise Manquillet, du kommando Auer. Ici n’est évoqué que le cas d’Annie Darjo, qui s’échappe du kommando Pertrix : « Avec une camarade espagnole, nous marchons vers Berlin et rencontrons des Français qui travaillent à l’usine de savon Pulls. L’un d’eux, un Parisien, nous aide à nous camoufler dans leur camp civil pendant trois jours, mais quelqu’un nous a vues, il faut déguerpir. Contrôlées dans un train, sans papiers, nous sommes conduites à la prison de la ville de Brandeburg. Grâce au savon que les Français de Pulls m’ont donné, j’ai droit aux faveurs de la gardienne à qui j’en offre un morceau. Au bout de quelques jours, je suis libérée et présentée au bureau de travail local. Le responsable est un Français originaire d’Angoulême. Je lui explique carrément mon affaire et il me fait embaucher, d’abord comme cuisinière, puis au service de nettoyage du Central Théâtre. Peu après j’aperçois des draps blancs aux fenêtres et les chars libérateurs dans la rue… »
Dans les kommandos d’hommes, l’évolution des événements entraîne un remplacement de plus en plus fréquent des Totenköpfe allemands par des auxiliaires étrangers de la S. S., voire des réservistes de la Wehrmacht ou de la Luftwaffe, mais le contrôle est toujours rigoureux. Les évasions réussies sont rares, comme elles l’étaient avant. Toutefois, les fugitifs repris s’en tirent souvent à meilleur compte, car les commandants de camps annexes hésitent à saisir le commandement central de Sachsenhausen pour ne pas avoir eux-mêmes à rendre des comptes et risquer le départ au front. C’est à une réaction de ce genre que Jean Remlinger attribue d’avoir sauvé sa tête, dès juillet 1943, en tentant de s’évader de son kommando de Kustrin : « J’avais remarqué qu’il était assez facile, de mon chantier de travail, d’accéder rapidement à l’Oder. Sur la rive opposée du fleuve, à l’ouest, de nombreuses baraques de jardin offraient sans doute la possibilité de troquer une tenue rayée contre un bleu de travail. Je me savais bon nageur et capable de m’exprimer quelque peu en allemand. C’est ainsi que réapparut en moi l’idée d’évasion que je n’avais pu mener à bien à Saint-Jean-Pied-de-Port.
« J’en informe mon meilleur ami, Henri Le Helloco, mais il ne m’encourage pas. Ce qu’il me dit, je le sais : en cas d’échec, c’est le retour à Sachsenhausen et la pendaison. Je prends pourtant ma décision et fixe la date au dimanche suivant de juillet 1943, le seul jour de la semaine où nous ne travaillons que le matin. Je rassemble quelques vivres : pommes de terre et tranches de pain économisées. Le moment venu, je dis adieu à mon ami. Le cœur
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