Sachso
inutilisable. À son atelier de K. W. A., André Franquet et ses camarades ont cinq mille couronnes d’alu de 500 millimètres à ébaucher : « À nous voir penchés sur nos tours cernés d’un matelas de copeaux aussi fins que de la paille, qui aurait pu mettre en doute notre travail ? Et quel S. S. n’aurait pas admiré notre soin à contrôler nos ébauches avec des pieds à coulisses que les Allemands avaient fait venir de Suisse ? En réalité, il en va tout autrement…
« Je me suis aperçu en vérifiant une de mes premières couronnes avec un autre instrument de mesure qu’il ne reste plus assez de métal avant la cote juste. J’appelle Pierrot Saint-Giron. Il constate lui aussi que les indications données par les pieds à coulisse suisses sont toutes entachées de la même erreur qui, pour être minime, n’en est pas moins réelle. Mais il est formel : il ne faut pas arrêter l’usinage des ébauches, il faut continuer à se servir des pieds à coulisse suisses.
« Résultat ? Ce n’est que lorsque tout est fini qu’un dernier contrôle renvoie notre production au rebut. Cela fait scandale mais nous avons beau jeu de protester de notre bonne foi ; non, personne ne savait ni n’aurait pu même supposer que des pieds à coulisse suisses soient faux ! »
Malgré tout, le danger rôde toujours. Une erreur, une maladresse involontaire peut être fatale, à K. W. A. comme ailleurs. Sous les yeux de Louis Péarron, un jeune rectifieur de vingt ans, Pierre Bret, vaincu par la fatigue, raye d’un coup de meule un des quatre cylindres d’une série en alliage spécial : « La pièce est fichue, c’est le drame ! Rassemblement des S. S. responsables de l’atelier. On dit que Pierrot va être pendu. Mais Deups, un ingénieur gaulliste affecté au bureau d’étude, s’arrange pour faire recouler une pièce afin d’éviter le pire… Un autre jour, un jeune Allemand manque une série de pièces sur sa fraiseuse. Le S. S. Muller le bat puis l’oblige à faire des flexions avec une barre d’acier de vingt kilos à bout de bras. Un coup de gummi sanctionne chaque défaillance. Trois S. S. assistent à ce spectacle en riant aux éclats. Le malheureux est ramené le soir au camp porté par deux camarades et il doit être admis au Revier. »
Maurice Bonjour, après plusieurs mois sans histoires à l’atelier de mécanique auto où travaille André Besson de Royan, connaît une chaude alerte. Muté dans un autre atelier de K. W. A. et chargé d’équiper des camions pour rouler dans la neige, il est accusé de sabotage à cause d’écrous non serrés. Grâce à un S. S. sarrois conciliant et à un Vorarbeiter allemand à triangle rouge, l’affaire n’a pas de suite. Léon Voutyras a moins de chance au secteur des gazogènes, où ses camarades René Gaudry, Roger Sampic, Léon Jacquot, Marcel Collet et Charles Wanpach le voient partir un jour pour la Haute-Cour de Berlin, accusé également de sabotage. Il ne s’en sort qu’en simulant la folie, mais n’échappe pas aux vingt-cinq coups sur les fesses. Alerte aussi à l’atelier d’électricité, quand des soldats S. S. y prennent position de façon inhabituelle. Guy Acébès et André Roux, qui « arrangent » à leur manière circuits d’allumage des moteurs et circuits d’éclairage des véhicules, se jettent un coup d’œil inquiet. Mais il ne s’agit que d’une surveillance spéciale pour la voiture de Himmler, amenée à K. W. A. pour y recevoir des phares anti-brouillard. Guy Acébès se met à ce travail avec son ami : « En faisant les épissures, j’omets volontairement bien sûr, de recouvrir les fils électriques de chatterton afin de favoriser l’apparition de courts-circuits. Eh bien, par un hasard formidable, je retrouve cette voiture de Himmler en décembre 1945 à l’École primaire supérieure de Bayonne, mon ancienne école, où elle figure dans une exposition des prises de guerre de l’armée Leclerc. Le directeur de l’école, qui me connaît, est tout surpris de me voir regarder sous l’auto. Je lui raconte mon histoire, et il en a la preuve sous les yeux : mes fils électriques sont toujours en place, non protégés ! »
Même si les méthodes des Français leur semblent parfois aventureuses, les détenus des autres nationalités sont à leurs côtés, surtout quand il s’agit de pratiquer au mieux non pas la division du travail mais la division du repos.
À D. A. W.,
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